Jean Bonijol et Quincaille

Après

Pour une partie des membres de l’équipe Quincaille, la fête à Barre marque la fin de la guerre. Lorsque l’ennemi était là, au cœur de leurs montagnes, la résistance leur paraissait la seule perspective digne et ils s’y sont donnés totalement, n’hésitant pas à mettre leurs vies en jeu. Maintenant qu’il s’éloigne vers le Nord, porté par des armées organisées, ce conflit les concerne moins. Et puis, ils ont tant donné… Alors ils rendent leurs armes et rejoignent leurs maisons et leurs familles.

D’autres veulent continuer la lutte. Pour participer jusqu’au bout, parce que personne ne les attend, par sens de l’honneur, parce que le retour à la vie « habituelle » leur fait peur… chacun ses raisons. Jean est de ceux-là. En tant que responsable de la résistance, il a été contacté par les services de l’armée alliée pour assurer une sorte d’intérim. Il a fait signer aux volontaires un contrat d’engagement « pour la durée de la guerre ». Et puis, juste après la fête, ils ont « formé un camion » et ils sont partis vers Nîmes, à la caserne Montcalm[1]. C’est là que la dernière garde de l’équipe de Quincaille va se disperser. La plupart rejoindront les armées du débarquement[2].

Une photo de Jean (devant, au milieu) et de trois de ses camarades cévenols, prise à Nîmes peu de temps après son arrivée, en septembre 44. Il a 23 ans.

Jean, en tant qu’instituteur et chef de résistance, est vite repéré. On lui propose d’intégrer la toute nouvelle « Ecole des cadres » que l’armée vient de créer à Nîmes. Il accepte, est chargé d’enseigner la topographie aux futurs sous-officiers, et encadre successivement deux stages d’un mois et demi chacun, jusqu’à Noël 1944. Mais rapidement, Jean souhaite se rapprocher de l’action concrète. La guerre continue au nord et à l’est, et il veut en être. Il présente sa candidature à l’école militaire de Coëtquidan en Bretagne dans l’espoir de devenir officier. Il est accepté et part au camp militaire du Larzac pour y suivre une formation préparatoire physique : « On en a fait des kilomètres là-bas aussi. Ils ne savaient pas comment nous occuper alors ils nous faisaient marcher toute la nuit là, pétard ! ».

Les mois passent, et en mai 45 la paix est signée alors que Jean n’a pas encore terminé sa formation. Son souhait de poursuivre le combat se vide de sens. L’armée en tant que telle ne l’intéresse absolument pas. Il pose immédiatement sa demande de démobilisation. « Ils me l’ont donnée tout de suite parce qu’ils ne savaient plus quoi faire de nous ». Jean n’a jamais regretté ce choix : après avoir été acteur libre d’une guerre de libération « je n’aurais pas supporté de me trouver dans le camp des occupants en Indochine ou en Algérie ! ». Jean est démobilisé le 29 août 1945. Il écrit aussitôt à l’Inspecteur d’Académie pour l’informer de sa disponibilité et de son souhait d’obtenir un poste, qui lui permettra de valider la dernière étape de sa formation d’instituteur, à savoir l’année de pratique. Il est nommé à Mende et commence sa première année d’enseignement, une classe de CE1, à la Chicanette. Le voilà revenu à la vie ordinaire.

Pendant des années, Jean ne va guère repenser à ses aventures de guerre. Il a besoin de reprendre le fil d’une existence normale. A vrai dire, personne dans son entourage n’a vraiment envie d’en savoir plus : il est si bon de profiter sans inquiétude du temps qui passe… Et puis il y a le boulot. Jean enchaîne tranquillement les postes d’instituteur : Coulagnes-haute, Serverette où il rencontre son épouse en 1949, Villechaille puis Saint-Léger-du-Malzieu en Margeride où naissent ses quatre enfants, et enfin Mende à la rentrée 1960[3].

C’est en 1961 que le passé le rattrape. Cette année là est créé le Concours National de la Résistance, qui attire l’attention du grand public sur cette période. Jean commence à être sollicité de temps en temps pour témoigner, il doit accepter de se rappeler. Au début des années 80, la demande s’accroit et Jean, personne-ressource incontournable sur ces sujets en Lozère, et nouvellement retraité, s’y investit de plus en plus. Il est très souvent auprès des jeunes, en particulier dans les établissements scolaires, et il s’implique bientôt totalement dans son action de transmission et de mémoire[4].

Les souvenirs de toute cette période, s’ils s’estompent avec les années, restent forts dans la mémoire de Jean. Ce fût la grande œuvre de sa vie.


[1] Ils y sont reçus par le capitaine Jacques.

[2] Henri Roume est parti rejoindre l’aviation au Maroc

[3] Il y sera directeur à partir de 1973 et jusqu’à sa retraite en 1978. Depuis le 19 avril 2011, le groupe scolaire porte son nom, en hommage à son action.

[4] En 1980, il succède à Henri Cordesse à la présidence de l’Association Départementale des Anciens Résistants, affiliée à l’ANACR. En 1997 il devient président de l’Union Départementale des Associations de Combattants, il participe à des projets de films et de CDROM sur la résistance.

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