La route royale n°7

Article tiré de la revue du club cévenol

Au moment où se termine l’enquête d’utilité publique sur le Parc National des Cévennes, il a plu à M. le Président du Club Cévenol d’évoquer pour les lecteurs de la Revue une autre grande enquête qui souleva, il y a 130 ans, bien des passions. Il s’agit de l’enquête d’utilité publique relative au projet de rectification, selon l’une ou l’autre des trois directions proposées par les Ingénieurs, de la partie de route royale n°107 de Nismes (1) à St-FIour, comprise entré St-Jean-du-Gard et Florac.

C’est, le décret impérial du 16 Décembre 1811, portant classement de 229 routes impériales et 1.169 routes départementales, qui avait fixé par Le Pompidou le passage de la route impériale n° 127 (devenue par la suite n°107) de Nismes à St-Flour. Une telle décision était logique, aucune autre liaison valable n’existait à l’époque entre les deux localités de Saint-Jean-du-Gard et Florac. C’était la route de l’Intendant Baville, « assez large pour y faire circuler du canon et porter des bombes en cas de besoin ».

C’est la route que M. Théodore Bimar, entrepreneur des Messageries de Clermont-Ferrand à Montpellier, sillonne nuit et jour avec ses diligences. Mais les diligences avaient besoin de relais tout au long des nombreuses « costes » de la route; la traversée de La Can-de-l’Hospitalet était difficile en hiver; les habitants des vallées devaient grimper jusqu’à la crête pour l’emprunter. Ils n’étaient pas ou étaient mal desservis. Leurs plaintes finirent par aboutir : En 1838, des délibérations sont prises par des Conseils Municipaux : des avant-projets sont étudiés par les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées du Gard et de la Lozère, des notables et stratèges du pays s’en mêlent, et l’on aboutit enfin à intéresser le pouvoir central qui, en la personne de son sous-secrétaire d’Etat aux Travaux Publics prescrit le 23 Janvier 1841 de soumettre les projets à l’enquête administrative règlementaire et fixe à six semaines la durée de l’ouverture des registres de cette information dans les départements du Gard et de la Lozère. En Lozère on est pressé, l’arrêté est signé le 4 Février et l’enquête se terminera le 20 Mars; dans le Gard, l’arrêté est daté du 15 Mars et l’enquête sera close le 1er Mai.

Mais voyons quels sont ces « projets comparatifs proposés, de concert, par les Ingénieurs du Gard et de la Lozère, à la consultation de « l’organe général » sur les changements importants à prévoir de la route royale n°107, afin de mettre le Gouvernement à même d’en apprécier les avantages et d’y donner telle suite que cet intérêt pourrait comporter ».

Premier projet. – La nouvelle route se dirige, en partant de Florac, suivant le Mimente, le Bergougnoux qui en est un affluent, franchit la chaîne des deux mers au Col de Fontmort, descend dans le Gardon de St-Martin-de-Lansuscle, affluent de celui de Ste-Croix, passe dans ce dernier, de là au Gardon de St-Jean en franchissant le contrefort qui l’en sépare au Col des Pomarèdes, enfin s’embranche sur la route actuelle, à l’extrémité Est de la ville de St-Jean-du-Gard. Une variante consiste à creuser un souterrain sous le col de l’Argentière pour aboutir
au deuxième lacet de la côte de St-Pierre.

Deuxième projet. – La nouvelle route remonte le Tarnon, franchit la chaîne des deux mers au Col du Marquairès, descend dans le Gardon de St-André-de-Valborgne qui est le même que celui de St-Jean-du-Gard et qu’elle suit jusqu’à 2.000 mètres environ avant cette dernière ville, où elle s’embranche sur la route actuelle. La variante consiste ici à traverser le col du Marquairès par un tunnel de 320 mètres.

Troisième projet. – Par la direction actuelle, rectifiée partiellement, la route est établie, à peu de choses près, comme au projet de St-André, depuis Florac jusqu’au col du Marquairès ; de ce col elle est dirigée sur Le Pompidou en passant par-dessus les mamelons de St-Martin et de La Couronnette : ce qui fait éviter le passage dangereux de la Can-de-l’Hospitalet, sur une longueur de 8.000 mètres. Entre Pompidou et St-Jean, la route est rectifiée depuis le village de St-Roman-de-Tousque, jusqu’au bas de la côte, dite de l’Exil, cette route présentant une pente et une contre-pente avec des lacets. Un tunnel de 219 mètres est prévu sous le col de l’Exil.

Des chiffres sont ici nécessaires et l’examen de la carte en facilitera la lecture.

Tableau des dépenses pour le projet de rénovation de la route du Marquaires

Bien avant l’enquête et pendant les six semaines de l’enquête « l’organe général » a manifesté son sentiment. Le dossier est volumineux… quant aux paroles !… nous les ignorerons tout comme les Commissions d’Enquête qui n’ont pas à en connaître ne jugeant que sur pièces écrites.

L’affaire, on le voit, est d’importance et comme l’écrit M. Daudé, de Saint-Germain-de-Calberte : « Le débat est digne des hommes les plus éclairés » . Ce même M. Daudé n’hésite pas à écire : « La 107 lie le Midi au Nord de
la France. Le projet par St-André l’anéantirait totalement en la menant perdre dans l’arrondissement du Vigan…  II serait l’arrêt de mort du département de la Lozère. Il ôterait à la France un organe essentiel à son existence industrielle et commerciale. Le département de la Lozère a des richesses minérales considérables qui arriveraient à Alais par Font-Mort.. Heureux département du Gard, ne refusez pas des dons si précieux, facilitez l’accomplissement de vos destinées. Habitants de St-Jean, on vous leurre! Nous ne voulons pas vous éviter, ceux de St-André préfèrent avoir une route sur Le Vigan que sur vous ».

C’est un vrai régal pour la vue que l’exposé, écrit en belle cursive, présenté par les habitants de dix communes du canton de Saint Germain de Calberte ; il est de plus très documenté. Voici l’introduction :

« L’homme a besoin non seulement de communiquer ses pensées, mais encore de transporter les produits qu’il obtient du sol et de son industrie; de là l’importance des moyens matériels de communication et de transport et l’intérêt qu’a la société de les faciliter, les routes n’ont pas uniquement pour résultat de mettre en rapport les hommes entr’eux, d’aider la circulation, elles amènent encore l’abaissement des prix, l’augmentation du revenu et de la consommation, aussi, les économistes les mettent au rang des dépenses sociales les mieux entendues, et jugent de la civilisation et de la richesse d’un pays, par les moyens de communication qu’ils y trouvent ».

Ce document contient un tableau comparatif des dépenses annuelles de toute nature étudié au moyen des tables de M. l’Inspecteur Favier ; on y apprend que la somme annuelle de la circulation dans les deux sens est de 20.000 tonnes, que le prix du transport sur une route horizontale est de 0,20 frs par tonne et par kilomètre et que le prix de l’entretien égale 0,50 frs par mètre courant. C’est M. Guérin, de St-Julien-d’Arpaon, qui traite la rectification Marquairès-Pompidou de « simulacre de rectification, monstrueux rapiéçage ». Il écrit encore: « Ne faudra-t-il pas que le roulage, la diligence, le voyageur, traînent, portent avec eux toute l’eau qui leur sera nécessaire, comme la caravane au désert ».

Sur le projet de St-André : « Il est impossible de rencontrer une commune plus escarpée, plus excoriée, qui présente plus d’obstacles au développement d’une route que celle de Bassurels » ;

et encore :

La corniche des Cévennes enneigée

« De St-André à St-Jean il faudra bien suivre les tours et les détours du Gardon ce qui rendra le parcours éternel ».

Par contre le projet Fontmorte « rectifie véritablement la route, il fait disparaître d’un seul coup toutes les difficultés du tracé actuel. Plus de descentes, plus de montées, plus de renforts, plus de plateaux, plus de neige, plus de glace, plus de tourmentes, plus de retards pour les voyageurs et le transit, mais au contraire célérité, sûreté, économie ».

Le mémoire présenté par la Municipalité et les principaux habitants de St-Etienne-Vallée-Française traite de façon très sérieuse des avantages du projet Fontmorte « comme rayon des routes tracées aux sources des grands cours d’eau qui remontent aux Cévennes, comme route militaire, et sous les rapports de la douceur du climat, des populations traversées, du produit des vallées…

La fin de ce mémoire imprimé et diffusé en un grand nombre d’exemplaires mérite d’être connue: « Les mêmes paroles que nous adressons à la Commission nous les adresserons à l’autorité supérieure, nous les adressons aux deux chambres, nous leur donnerons toute la publicité que mérite une grande cause, et le gouvernement nous en sommes convaincus se rendra tôt ou tard à nos justes supplications et accordera enfin à notre pays, quelque part aux grands travaux qui vivifient le reste de la France et notamment le département du Gard, pleins de confiance dans vos hautes lumières et votre justice impartiale ».

Comment ne pas être convaincu après une telle lecture ?

Et cependant dans un autre mémoire rédigé à Moissac et signé par les Maires des Communes de Moissac, Gabriac, Molezon, Pompidou et de nombreux Conseillers Municipaux qui défend le projet de rectification partielle, il est écrit: « Le Camp de l’Hospitalet est un mauvais passage tout le monde en convient » mais y obvie-t-on, en passant la route par le plan d’enfant mort ? (sic).

Non sans doute car on pourrait citer que naguère plusieurs individus qui se trouvaient sur ce point, furent tellement accablés par le mauvais temps que tous s’égarèrent, vinrent au hasard tomber dans plusieurs localités et l’un d’eux mourut au lieu du Mazel Commune de Molezon des suites du mauvais temps qu’il avait éprouvé. Abandonnera-t-on cette belle partie de route (de St-Jean au Pompidou) pour se jeter dans des gorges, dans des précipices dont on est bien éloigné d’avoir calculé tontes les difficultés et prévu toutes les éventualités. Il est possible, ce dont on doute cependant, que M. Bimard ait fait transporter de l’eau de Saint-Jean à Saint-Roman pour abreuver les chevaux, mais il devait penser que cette eau était plus soluble et plus nourrissante puisque le Gardon de St-André coule à une demi-heure en-dessous de St-Roman, à Capoue et que jamais les habitants de ce village n’y ont eu recours ».

Contre le projet St-André, on pense qu’il sera bien difficile d’établir une route solide vers les Salides. « Le terrain s’éboulant en entier à la moindre pluie, les châtaigniers les mieux enracinés et les mieux placés changent de position sans néanmoins se déraciner et marchent tous entiers avec le terrain. On s’apitoie sur « un grand nombre d’auberges qui ont coûté des sommes énormes et qui deviendraient complètement inutiles et qu’il faudrait laisser tomber en ruine. M. de Sablet, Maire du Pompidou, reconnaît que l’importance de la route 107 va sans cesse en diminuant au fur et à mesure de la mise en état des routes 106 et 9. « Sur cette dernière, M. Bimar y a établi une diligence depuis Montpellier comme sur la route 107 de manière que la route 107 n’est devenue qu’une simple
communication entre Nîmes et Saint-Chély. Saint-Germain serait désolé de voir transporter la route à Saint-André, et Saint-André ne le serait pas moins de la voir transporter à St-Germain ; en effet l’une et l’autre contrée y perdrait beaucoup, et cette considération est assez; frappante pour faire maintenir le statu quo.

A Molezon, on pourrait s’en douter, il est préconisé un itinéraire par Barre et Ste-Croix.  » Les projets étudiés décrivant à eux deux un grand losange dont le diamètre se trouve marqué par la Vallée Française précisément par où passerait dans notre plan la route 107 « . A Barre et St-Laurent on est du même avis. Le dossier ne comporte aucune prise de position à Ste-Croix c’est étonnant…

M. Soubeiran, Maire de Saint-.Jean-du-Gard, appuyé par seize Conseillers Municipaux, écrit: « Les contradicteurs du projet du milieu ont senti qu’ils avaient un terrible adversaire avec ce projet ; aussi l’ont-ils, écarté, pour ainsi dire, d’office et pour cela, ils ont été obligés de se livrer à des exagérations dont votre examen éclairé fera certainement justice « .

Il compare la rampe de St-Pierre de 7.075 m. avec une pente de 5,5 % (et non 8 à 10 % comme on le prétend à St-André) à celle du Marquairès de 11.277 m. avec une pente de 5 % et celle de 17.140 m. du Pont de Négades, au col de Fontmort, avec une pente de 3,6 % et il ajoute: « L’application des tables de M. Favier doit probablement fournir des résultats vrais, mécaniquement parlant, mais les chevaux ne sont pas des machines à vapeur, ils ont
besoin de prendre haleine. Bien que les considérations basées sur des droits acquis puissent être écartées, il faut cependant qu’elles soient toujours mises dans la balance. Or, je le demande, que deviendraient Le Pompidou et St-Roman qui n’ont un peu de vie que par leur route, si on la leur enlevait ? Que deviendraient une foule d’industriels qui doivent leur existence au passage des étrangers dans la longue rue de St-Jean-du~Gard ? »

A Anduze, on repousse comme favorisant la concentration des populations l’idée d’ouvrir une communication directe entre la route 107 et La Grand’Combe, par ailleurs on regarde les productions des deux vallées, surtout celle de Saint-Etienne comme trop peu importantes pour exiger une dépense aussi forte que celle que demanderait l’exécution de l’un ou l’autre projet, on finit par classer comme Saint-Jean-du-Gard.

Que pense-t-on dans la vallée du Tarnon et dans la vallée borgne ? Les prises de position sont nombreuses : on ne compte pas moins de vingt-deux délibérations, six avis ou mémoires en faveur du projet Saint-André. Des communes éloignées prennent position comme Hures, où on pense que « les blés du Causse Méjean trouveront un débouché facile » ;

Pompignan, qui appuie sur l’avantage qu’offrirait la communication plus directe de Montpellier à Clermont-Ferrand par Pompignan, St-Hippolyte, Lasalle et St-André ; Lanuéjols, St-Sauveur-des-Pourcils qui pensent à une route militaire de Florac à St-Jean-du-Bruel vers les Pyrénées ; St-Hippolyte-du-Fort, Durfort, qui reprennent les arguments exposés par St-André. Pour Colognac, St-Bonnet, St-Félix-de-Pallières, la direction Font-Mort se rapproche trop sans raison de la route 106 et s’éloigne trop de la 99. Pour Soudorgues et Vabres, la rectification partielle est insuffisante. Meyrueis et Catuzières expriment chaudement leur avis en faveur de la direction St-André. Les Conseils Municipaux de Vébron et Fraissinet-de-Fourques considèrent « qu’à plusieurs reprises et notamment en 89 la ligne du côté Vébron avait été décrétée et les travaux poussés jusqu’à Gratte GaIs; que la route serait d’une immense utilité d’abord au pays qui pourrait facilement transporter à Florac ou ailleurs les boisages dont il abonde, ainsi que ceux de la forêt royale des Oubrets ».

A Peyrolles on se réjouit que la nouvelle route traverse la commune sur six kilomètres, que cela évitera de transporter les châtaignes à dos de mulet et qu’on est disposé à tous les sacrifices pour faciliter cette entreprise.
La délibération de St-Martin-de-Corconac expose que la commune contient de riches mines de fer autrefois exploitées et d’antimoine dont on a demandé la concession, que celle de St-Marcel en a une de plomb argentifère que M. Varin a reconnue riche, qu’il y a des chutes d’eau pour exploiter ces richesses et que les routes seules manquent; que si la route 107 quand elle fut créée ne prit pas la direction St-André -Vebron, c’est qu’elle rencontra quelques oppositions de localité dans la noblesse du pays.

La délibération de St-Marcel-de-Font-Fouillouse est « très fleurie de style » ; en voici un passage: Le Conseil, « considérant l’importance d’une telle rectification, reconnaissant que de la viabilité la plus commode résulte la prospérité dont les communes doivent se ressentir tant dans leur commerce que dans leur agriculture, ces deux mamelles de l’Etat comme avait coutume de les appeler le vertueux Sully ce digne ministre du Bon Roi Henri IV, dit Le Grand dont la mémoire est toujours vénérée dans nos contrées montagneuses malheureusement reculées en l’état de notre civilisation moderne motif de plus pour approuver toute amélioration routière, après avoir débattu contradictoirement le commodo et incommodo a trouvé en résumé… que le projet par Le Pompidou doit être mis
au rebut… »

L’avis de Saumane est très détaillé; insiste sur la bonne disposition de la nouvelle route comme itinéraire militaire et sur le fait qu’en 1839 M. Bimar était obligé de faire porter de l’eau à St-Roman pour abreuver les chevaux. Naturellement toutes les communes de la vallée ouvrent des souscriptions pour payer les indemnités de terrain qui seraient réclamées.

M. Meinadier, Maire de St-André-de-Valborgne, se dépense sans compter pour obtenir la route. Il fait imprimer et répandre les observations présentées par le Conseil Municipal sur les différents projets puis un second document pour répondre aux mémoires de St-Germain et St-Etienne. Tous les arguments contre les deux projets sont exposés: rigueur de l’hiver, manque d’eau, de fourrages, pays désert, côtes raides et escarpées, coût des renforts, entretien difficile et coûteux pour l’un; pour l’autre: route nue, sans habitations, travaux d’art importants (neuf ponts à construire, dont deux à fonder sur le gravier), pas de pierres sur place, dépense très élevée, évitement de St-Jean. « Arrivons sans plus tarder à la jonction de la route royale 107 au chemin de fer de La Grand’Combe. C’est là le grand cheval de bataille du mémoire, et à l’insistance que mettent ses auteurs à soulever et à discuter de cette question, on serait tenté de croire qu’il ne s’agit de rien moins que de la route de Londres aux Grandes Indes. Tandis que par les vallées du Tarnon et de St-André, la route longerait les rivières, dans des pays où la température est douce et presque toujours égale, où la neige séjourne fort peu, où les habitations sont nombreuses, où des eaux de source se rencontrent à chaque pas, où les fourrages sont en très grande abondance, » etc. etc… sur trois grandes pages… Comment ne pas être tenté à la pensée que « la forêt vierge de l’Aigoual et des Oubrets qui appartient à l’Etat pourraît être exploitée grâce à la route, que le bassin de St-André offre de bien précieuses ressources pour l’établissement d’usines de toute espèce qu’on pourrait monter. sur une très grande échelle ». Quel bon avocat que M. Meinadier !

Et maintenant voyons quelle est l’opinion des techniciens. L’Ingénieur d’Alais pense qu’il n’y a pas lieu à opérer immédiatement la rectification soit d’un côté soit de l’autre parce que la route 107 suffit à la circulation et n’est pas destinée à en avoir une beaucoup plus grande. il compare les deux directions et conclut en faveur du projet St-Aridré en se fondant sur la topographie du pays.

L’Ingénieur en Chef de Nîmes ajoute de nouvelles considérations tendant à établir que cette route n’aura jamais une grande importance en dehors des relations entre Mende et Nismes et ne mérite pas une dépense de 2 millions. Il vaut mieux ne faire que rectifier la route actuelle que d’en changer la direction.

L’Ingénieur de Florac penche naturellement vers le projet Font-Mort qui est un excellent projet. Il ouvre la vallée de La Mimente et peut permettre de passer par le point le plus déprimé de la chaîne dans le Gardon d’Alais ce qui est un avantage incontestable pour Florac et le Sud de la Lozère.

L’Ingénieur en Chef de Mende reconnaît que le projet Font-Mort est un excellent projet jusqu’au-dessous de St-Etienne, mais que la contre-partie du Gardon de Ste-Croix par le Col de Pomarède ou au seuil de l’Argentière est une faute grave de tracé. Le projet Saint-André comporte une masse assez lourde d’accidents contraires: Marquayrès plus élevé, redressement du col, allongement de la distance, plus. fortes dépenses annuelles; mais son tracé direct de l’une à l’autre vallée, en font un projet véritablement normal conforme aux principes rigoureux de l’art du tracé recommandés par l’Administration. « Le plus grave inconvénient de l’un et l’autre projet est le chiffre de la dépense: plus de 2 millions. La somme paraîtra forte en proportion de l’effet obtenu et de tous les longs préliminaires de ce projet, il n’en sortira peut-être qu’une fin d’ajournement. La rectification simple et incomplète du Pompidou se produit alors avec quelque avantage; mieux vaut faire moins bien que de ne pas faire du tout. Ouvrir le  Pompidou fait admettre implicitement qu’un jour l’ouverture de St-André se réalisera. Je classe les trois projets dans l’ordre: Pompidou, Marquayrès, Font-Mort ».

« L’organe général » ayant été entendu, il convient ensuite d’éclairer l’Administration d’un avis impartial. A cet effet, le Ministre écrit aux Préfets : « Je n’ai pas besoin de vous recommander d’ailleurs le choix des personnes que vous aurez à désigner pour former la Commission d’Enquête; il s’agit ici d’une entreprise qui doit être envisagée avant tout du point de vue de l’intérêt général ».

Des personnalités sont désignées: Conseillers Généraux, magistrats, avocats, ingénieurs, géomètres, propriétaires, des noms connus: Paulin Talabot, Emilien Dumas, de Chastellier, Turc, Tessonnière… En Lozère la Commission siègera à Florac et comprendra neuf membres, car un seul arrondissement est concerné. Dans le Gard, elle siègera au chef-lieu et comprendra treize membres.

L’une et l’autre, après examen des dossiers, se posent les questions suivantes :

-à Florac y a-t-il lieu de rectifier la 107 ? oui à l’unanimité.

-à Florac et à Nîmes: faut-il adopter le tracé par Font-Mort et Florac : 8 voix pour, 1 voix contre; Nîmes: 2 voix pour, 11 voix contre.

-faut-il adopter le projet de rectification partielle? Florac: 1 voix pour, 8 voix contre; Nîmes: 9 voix pour, 4 voix contre.

-faut-il adopter la direction Marquairès -St-André ? Florac : unanimité contre le rejet; Nîmes: 4 voix pour, 9 voix contre.

-à Nîmes, on ajoute« si le gouvernement n’adoptait pas la rectification partielle » : 6 membres votent la direction actuelle, 5 membres votent la déviation St-André, 2 membres votent la déviation Font-Mort.

La Commission d’Enquête de Florac s’est réunie dès le lendemain de la clôture du registre d’enquête. La phrase suivante de son procès-verbal prouve que son parti était pris d’avance et qu’elle n’a même pas examiné la question: « Le projet FontMort traverse l’arrondissement de Florac dans toute la longueur et sert les intérêts de la Lozère… Le projet St-André la déshérite. Cette considération devrait être de nature à dissiper au besoin des doutes qui n’ont pas existé dans l’esprit de la Commission ».

Celle de Nîmes a pris le temps de la réflexion. Son Président a mis vingt jours pour dépouiller le dossier. L’avis donné est fortement motivé et très nuancé. Le procès-verbal de la Commission cause une vive protestation des Conseils Municipaux de St-Hïippolyte-du-Fort, de Lasalle et St-André-de-Valborgne qui supplient le Conseil Général de prendre une délibération conforme à leur voeu.

Et les dossiers sont transmis au Ministre après avis des Conseils Généraux et des Préfets. Une année plus tard on est toujours dans l’incertitude. Le Conseil Municipal de St-André délibère le 7 Mai 1842. « Il est à craindre que le projet de rectification par la vallée de St-André ne soit pas adopté… Il serait de l’intérêt général qu’on adoptât au moins le projet de rectification par le col du Marquairès et qu’un embranchement qui, de St-André, irait aboutir directement à la route 107 soit réalisé.

Le Pompidou

Le 20 Septembre 1842, on connaît l’avis du Conseil Général des Ponts-et-Chaussées. Cette éminente assemblée a reconnu « qu’il y avait lieu d’adopter en principe le tracé passant par le Gardon de St-Jean, le col du Marquairès et la vallée du Tarnon ».

Enfin le 21 Mai 1843, Louis-Philippe, roi des Français, à tous présents et à venir ordonne: « Article premier: Il sera procédé à la rectification de la route royale n°107, de Nismes à St-Flour, entre St-Jean-du~Gard et Florac, dans les départements du Gard et de la Lozère, par le Gardon de St-Jean, le col du Marquairès et la vallée du Tarnon.»

La disposition du décret du 16 Décembre 1811 qui fixe par Le Pompidou le passage de cette route dans le département de la Lozère est et demeure rapportée ».

E. BRINGER.
 

N. B. – Il est intéressant de noter qu’il aura fallu attendre plus de quarante années pour que le projet arrive à son terme: c’est en effet le 1er Juillet 1884 que l’ouverture définitive à la circulation de la nouvelle direction de la R. N. 107 est prononcée.

Les sections comprises entre :

-la sortie de St-Jean-du-Gard et l’Estrechure (le pont du Gras), soit 8 km 869

-la sortie de St-André-de-Valborgne et Les Vanels, soit  20 km 556

au total 29 km 425 dont 15 km 727 dans le Gard et 13,698 en Lozère ont été construites entièrement
pour une dépense de: 1.833.734 F.

Il est également intéressant de noter les diverses étapes de cette construction :

-côte de St-André-de-Valborgne côté Gard. 1844 -1854

-sortie St-Jean -Valat du Rieu 1856 -1860

-Valat du Rieu – Valat de Valmy 1861-1867

-Valat de Valmy – Bussas 1866- 1868

-Bussas – Pont du Gras 1867-1871

-Souterrain du Marquairès 1868 -1873

-de la limite du Gard au souterrain 1874 -1878

-du souterrain à Prat Novel 1878 – 1883

-de Prat Novel aux Vanels 1880 – 1884

Le relevé de ces dates rend perplexe: on a commencé les travaux par la côte de St-André dans le Gard; pourquoi a-t-on attendu trente années pour les poursuivre dans cette section en Lozère ? Et pourquoi a-t-on creusé le tunnel
avant de construire ses accès ? Les constructions étaient presque terminées dans le Gard quand on les a commencées en Lozère ? Il est vrai qu’elles ont pris beaucoup plus de temps: 27 années dans le Gard, 16 en Lozère pour une longueur et une dépense sensiblement égales, tunnel non compris.

De nombreuses questions se posent quant au déroulement de ces travaux : crédits, dessertes de localités, influences ou réticences. Il serait intéressant de connaître les raisons qui ont contraint les réalisateurs à éparpiller l’effort. L’aménagement des routes départementales faisant partie de l’itinéraire (c’est-à-dire les sections l’Estréchure – St-André dans le Gard et Les Vanels – Le Mazel en Lozère) a commencé en 1861 et s’est prolongé au-delà du siècle: c’est ainsi que le Pont d’Ausset près de l’Estréchure a été construit entre 1903 et 1905.

Et on pourrait même ajouter que cet aménagement n’est pas terminé puisque l’élargissement de la route dans le faubourg de St-André reste à réaliser. Le temps s’en chargera certainement; il l’a prouvé cet hiver en frappant mortellement l’un des immeubles à abattre.

E. B

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