Le rocher des fées du Barret

Lorsqu’on arrive de Barre-des-Cévennes par la piste qui longe le flanc sud de la can noire, le franchissement d’un virage à gauche bien marqué ouvre soudain la vue sur une vaste avancée horizontale couverte de prairies, au bout desquelles trône une ferme isolée. C’est le Barret. Un endroit magnifique, solitaire et grandiose, qui veille sur la haute vallée française. Point de contact entre le calcaire et le schiste, îlot d’horizontalité dans ce monde essentiellement vertical.

La source du Barret, située juste au dessus de la falaise, près de la piste

Cet endroit n’a pas toujours été comme aujourd’hui à l’écart du monde. Au moyen-âge, la piste en question, qui reliait alors Barre au château de Terre Rouge sur la can, était nettement plus passante. Et encore bien plus longtemps avant, des humains on choisi cet endroit pour s’installer. Pas le site de l’actuelle ferme, venté et sans eau, mais un petit replat situé juste au pied des pentes calcaire de la can.

A quelques mètres en contrebas de la piste, au niveau du thalweg, une petite falaise de 5 mètres de haut et d’une cinquantaine de mètres de large délimite un petit coin de paradis, protégé des vents du nord, doré au soleil du midi, riche en replats larges et faciles d’accès… Et surtout, miracle des miracles, à quelques mètres au dessus du site, près de la piste, une source surgit de la couche gréseuse. Pas un torrent, certes, mais un débit suffisant pour récolter quelques dizaines de litres chaque jour d’une eau claire et fraîche, que les enfants ont testée avec plaisir en posant les lèvres à même la surface frissonnante. Qui plus est, ce filet d’eau coule toute l’année.

A se trouver en ce lieu on est saisi par une impression profonde, archaïque : comment un tel site aurait-il pu ne pas attirer une présence permanente ? Depuis la falaise, la vue porte très loin, jusqu’aux pentes de l’Aigoual, par delà les falaises de la partie sud de la can de l’Hospitalet. Ici, on est maître des environs. Tout près, le magnifique ensemble de prairies de la ferme du Barret est trop horizontal, trop vert pour n’avoir pas été utilisé depuis des millénaires comme une excellente pâture…

Panorama proche du rocher

Au pied de la falaise, des traces de jardins, un peuplier d’Italie, un pommier prouvent que l’endroit a été utilisé jusqu’à une époque récente. Le lieu respire l’Homme. Le premier. L’ancien. L’ancètre. Celui dont les descendants de descendants ont engendré les cévenols d’hier. De fait, de nombreuses traces témoignent sans ambiguïté de l’existence en ce lieu d’un petit habitat ancien, datant probablement de l’époque protohistorique. Les traces de cette occupation sont assez faciles à lire et à décrypter, même aux yeux du néophyte que je suis. Mais il se trouve que le lieu a été « officiellement » étudié, ce qui a confirmé cette hypothèse, bien que de manière un peu décevante (voir le compte-rendu de fouille de Gilbert Fages).

La vue vers le sud, depuis le haut de la falaise du Barret

Le « village » s’organisait donc autour de la paroi rocheuse, qui constituait le « mur du fonds » d’au moins deux habitats permanents, dont les traces sont nettement visibles aux extrémités gauche et droite de la falaise.

Au sommet de l’extrémité est (strie noire bien visible sur l’une des photos ci-contre), une gouttière protège, quelques mètres en dessous, un renfoncement de la falaise. Ce genre de gouttière, connu des aménagements de cette époque, permettait sans doute à la fois d’assécher la partie inférieure du rocher pour la rendre plus saine, et de recueillir l’eau douce pour les besoins de la vie courante. Ici, la source proche permettait sans doute de se passer de cette dernière contrainte.

L’ensemble du site vu du sud

Il y a donc probablement eu ici un bâtiment accolé contre le mur, bien qu’aucune trace évidente de contact avec des poutres n’apparaisse dans la paroi. Un sondage effectué sous le surplomb a permis de mettre au jour 3 minuscules débris charbonneux et un petit galet aménagé. Question : à l’époque actuelle, le sol argilo-sableux situé sous le surplomb de l’abri est humide, voire carrément mouillé en permanence, malgré les gouttières… Comment ce problème a-t-il été géré pour que l’endroit soit vivable ?

L’abri principal, sous la falaise du Barret

Au bas et au ras de la falaise, à peu près au centre de la longueur, un petit bloc tombé du sommet est resté sur place, vertical. Il porte, à peu près à hauteur d’homme, un logement carré, bien taillé, de quarante centimètres de largeur. L’une des hypothèses émise sur ce genre de creusement consiste à supposer qu’ils étaient peut-être destinés à recevoir l’extrémité de poutres de bois pour soutenir une toiture.

Le rocher aux deux gouttières

Au vu de ces éléments, on peut interpréter le site comme une unité de vie constituée d’un ensemble de bâtisses tournées vers le sud, faisant face au soleil, protégé des vents du nord, avec une source, des terrains horizontaux cultivables et des prairies à proximité. Voilà donc nos ancêtres pourvus d’un habitat sain, pratique, accueillant… La vie était possible. Mais encore bien plus que la vie : sur la can noire, non loin du rocher des fées, se trouvent plusieurs tumuli, ce qui ajouterait à l’ensemble un lieu d’inhumation. Décidément, le lieu est complet : tout ce qu’il faut pour vivre… et pour mourir !

Deux des rochers gravés tombés au pied de la falaise du Barret. Celui du fonds est le rocher aux deux gouttière.

Mais la réputation locale du site, bien plus que de sa falaise, provient des gros blocs qui gisent ça et là en contrebas. Il y en a une petite dizaine. Le plus gros d’entre eux, en particulier, est depuis toujours connu sous le nom de « ronc de las fadas », ou « ron de las fados », le rocher des fées, appellé aussi « rocher des croix ». Il a été étudié et décrit par plusieurs historiens et préhistoriens (Camille Hugues, 1989, J. Dhombres, 1961, et surtout M. Lorblanchet). Haut de 5 mètres, il présente un grand nombre de gravures sur plusieurs de ses faces. Quelques tessons ont été trouvés à ses pieds.

Les gravures du « rocher des croix », au Barret

La face nord présente environ 75 figures en forme de traits, entre 1 m et 1m60, obtenues par piquetage et raclage. On y voit des croix, des bâtonnets, des signes anthropomorphes, des arceaux, des cupules. Ces signes se recoupent, se superposent par endroit.

Relevé des gravures du rocher des croix

Michel Lorblanchet a pensé voir ici la figuration de scènes autour des grands anthropomorphes. Quant à la datation de ces schémas, elle a longtemps été estimée contemporaine de l’âge du Fer, époque où des figures analogues concourent à la décoration des poteries incisées ou au champlevé. (pet, p.331, et mch, p.1). Mais cette datation est maintenant remise en question, sur la base de plusieurs arguments.

Des figures de même type mais beaucoup plus récentes (période historique, voire largement après la fin du moyen-âge) ont été identifiées un peu partout, par exemple sur des murs de certains vieux bâtiments du causse Méjean… Et puis, il y a la nature de la roche. Il s’agit d’un grès très friable, qui se détériore très rapidement avec les intempéries. La mémoire orale se souvient qu’il y a encore peu de décennies les gravures étaient beaucoup plus visibles. Comment imaginer qu’elles aient réussi à traverser des millénaires ?

Une croix bien visible
L’escalier

A l’opposé de la face qui porte les gravures, des marches (petites et rustiques !) ont été creusées pour atteindre le sommet du rocher, qui est lui-même couvert de cavités de diverses formes. Sur deux faces parois du rocher, plusieurs cavités rectangulaires sont interprétées comme réceptacles de poutres pour la charpente d’un abri. Si cette explication me semble plausible pour plusieurs des cavités (les plus petites), je ne la crois pas réaliste pour la plus importante d’entre elles qui mesure environ 50 cm de côté. En effet, pour justifier la taille de cette cavité, il faudrait imaginer une poutre d’une taille colossale. On ne voit pas à quoi elle aurait servi dans un lieu relativement étriqué comme celui-ci. D’ailleurs, pour quelle raison cette poutre aurait-elle été taillée carrée, ce qui est complexe et long, au lieu d’utiliser des poutres rondes, utilisant la forme naturelle des troncs d’arbres ? La cavité est par ailleurs située à un emplacement qui semble inutile : relativement basse, elle n’aurait permis que la mise en place d’un abri de petite taille. Enfin, elle présente une surface horizontale, ce qui est curieux pour une poutre partant dans une direction à priori descendante…

Bref, rien ne colle dans cette hypothèse. Il faut probablement imaginer une autre explication. La surface plane semble parfaitement conçue pour poser facilement « quelque chose » : un objet ? Ou simplement… un cul, comme le font encore aujourd’hui les enfants de manière tout à fait spontanée ? Car c’est vrai qu’on y est bien assis, sur cette plateforme, et de là on contemple une partie du site avec confort. Cette plateforme me fait d’ailleurs penser à plusieurs autres plateformes d’aspect similaire, sur un site de la même époque situé de l’autre côté de la can… Il reste décidément bien des choses à comprendre ! 

Le « siège »

A l’est du rocher des fées, un autre rocher orné d’une sorte de croix de Lorraine avec des marches artificielles. Un troisième rocher, au sud des précédents, porte également quelques gravures, et présente sur une de ses faces une sorte de « chaîne de cupules », qui pourrait ressembler à une sorte d’escalier tellement peu marqué qu’il n’aide pas du tout l’ascension, d’autant que l’accès par l’autre face est évident. A quoi donc pouvait bien servir tout ce fatras ?

Benjamin assis dans le « siège » du rocher des croix

La plupart des figures et formes ont souffert des intempéries et de l’attaque des lichens et s’estompent peu à peu. Plusieurs rochers sont partiellement embroussaillés, et un certain nombre de gravures ne seront sans doute dorénavant plus visibles sans un sérieux coup de débroussailleuse !

L’imaginaire local avait rêvé le site en un village préhistorique avec ses gravures mystérieuses. Peut-être ne s’agit-il finalement que d’un lieu à vocation agricole utilisé depuis la protohistoire ou le moyen-âge ? Mais quelque soit la vérité, que l’on ne connaîtra sans doute jamais, je vous conseille d’aller y passer un moment, vous en reviendrez certainement avec votre propre hypothèse.

Le sommet de l’un des rochers du Barret, couvert de cupules
Plan des fouilles effectuées autour du rocher des Croix au Barret. Extrait de rac, p. 50

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