La chaux est un ciment rustique, utilisé comme liant pour la fabrication de bâtiments. Elle est fabriquée à partir du calcaire. Un processus de « calcination » transforme celui-ci en chaux vive, qui peut ensuite être déclinée en différentes formes (chaux aérienne, chaux hydraulique…) par traitements complémentaires.

La calcination du calcaire se fait au sein de fours dans lesquels le minerai est porté, plusieurs heures durant, à une température comprise entre 800 et 1000 degrés.
Le processus de fabrication de la chaux a été découvert dès l’antiquité et s’est répandu très rapidement partout où le calcaire était présent. Les fours utilisés pour la calcination ont évolué au travers des âges, depuis les petits fours rustiques à usage unique, simples trous dans la terre que l’on éventrait pour récupérer quelques centaines de litres de chaux, jusqu’aux grands fours industriels du XIXè siècle, édifices de pierre taillée maçonnée mesurant jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de haut, permettant de produire de grandes quantités de chaux en continu grâce à des systèmes de défournage par le bas, tandis que l’enfournage se fait par le haut.
Sur la can de l’Hospitalet, avant que la grande industrie ne prenne le relais, une micro industrie artisanale de fabrication de chaux s’est mise en place, dont les vestiges sont encore visibles aujourd’hui.
Les fours opportunistes
Les formes, tailles et fonctionnement des fours à chaux varient énormément selon les époques, les besoins qui ont engendré sa construction, et la richesse de l’entrepreneur. Un particulier pauvre souhaitant produire la chaux pour un projet de construction modeste fabriquait un four très simple qui pouvait ne servir qu’une seule fois. On parle dans ce cas de fours opportunistes. Ils s’apparentaient à de simples trous dans la terre, parfois rehaussés d’un talus circulaire. Dans une pente assez forte pour minimiser la construction de murs, on creuse une cavité semi-circulaire qui peut faire par exemple 2,5 mètres de diamètre et 4 mètres de profondeur. On bouche la façade par un mur sommaire en pierre dans laquelle on ménage une ouverture. On entasse les pierres dans la fosse, on recouvre d’une voûte sommaire, et on allume un foyer dans l’ouverture. On alimente intensivement en combustible pendant plusieurs dizaines d’heures pour atteindre et maintenir la température de 950°C. Le minerai calciné se déstructure et perd du volume. La voûte finit par s’effondrer, signe que l’opération est terminée. Il ne reste qu’a récupérer la chaux.
Le processus de fabrication de la chaux dans un four de ce type est décrit de manière détaillée dans un document rédigé par Jean Vignal, propriétaire et gestionnaire d’un mas près de Sabran dans les basses Cévennes gardoises. En 1748, pour construire des bâtiments additionnels a sa propriété, il a besoin de chaux et organise une campagne de fabrication. Celle-ci, toutes étapes confondues (recueil du minerai, préparation du combustible, fabrication du four, calcination, récolte…) s’étale sur plus d’un mois, et fait intervenir treize personnes, membres de la famille, amis, associés. Au cours de l’opération, cinquante « muids » (fûts de 500 à 600 litres) sont produits, puis répartis entre les participants. (pour plus de détail, consulter l’article « Les fours à chaux de Jean Vignal », de Hervé Abrieu, publiée dans la revue Rhodanie, avril 2023, dont je remercie l’auteur)
Ce type de fours, une fois utilisé, se dégrade rapidement. Le défournage, qui se fait par déconstruction partielle, entame le processus. Puis la terre des parois non étayées s’éboule sous l’action de la pluie, et rebouche progressivement le trou. La végétation fait le reste. En quelques décennies il n’en subsiste plus trace dans le paysage. Ces fours sont donc difficiles, voire impossibles à détecter, sauf s’ils sont très récents.
Fours à parements
Les fours qui avait vocation à être utilisé plusieurs fois (par exemple par des producteurs de chaux professionnels), étaient de taille supérieure et de facture plus solide. Ils étaient positionnés sur des terrains horizontaux, et construit à base de pierre. J’en ai repéré deux modèles principaux (nomenclature personnelle) :
- Le four à parement simple : un parement de pierre circulaire est enfoui dans une butte de terre. Ce genre de four ne présente en général pas d’ouverture latérale, ce qui laisse penser qu’il était défourné par le haut. Se pose par contre la question de l’alimentation en bois et oxygène. A élucider.
- Le four à parement double : deux parements de pierre circulaires concentriques définissent un mur très épais (de l’ordre d’un mètre), dans lequel est souvent ménagée une ouverture latérale. Il devait être alimenté en combustible par cette ouverture.
Choisir l’emplacement d’un four
J’ai observé que la majorité des fours à chaux existants sur la can et aux alentour sont localisés dans les premières pentes sous la bordure de plateau, descendant jusqu’au « ressès« , ce replat qui court à mi hauteur du versant. Très peu sont situés sur le plateau même ou en fonds de vallée. Pour la plupart ils sont isolés, éloignés de toute construction et hameau. Ces constantes s’expliquent facilement, car le choix des emplacements résultait d’un « calcul » intuitif très simple, qui a été étudié sur le mont Lozère pour l’industrie du plomb argentifère mais dont la logique peut être transposée ici. Dans le cas du plomb, le combustible nécessaire représentait un volume 15 à 100 fois supérieur à celui du minerai, pour une masse 2 à 3 fois supérieure. Il était donc beaucoup logique de placer le four proche des lieux de production du combustible, quitte à importer les matières premières de plus loin ou exporter les produits finis plus loin également. Par contre, il était indispensable que l’accès soit aisé car les quantités de matériaux à charrier rendaient l’utilisation de la traction animale indispensable.
Sur la can, le minerai étant présent partout, le combustible constituait le facteur déterminant. Avec les déforestations importantes menées depuis le début de notre ère (voir Histoire de la végétation sur la Can) les forêts, quasiment disparues de la surface du plateau au moyen-âge, ne subsistaient que dans les pentes raides, particulièrement dans les versants nord. C’est là qu’ont été logiquement construits la majorité des fours depuis cette époque. Une hypothèse serait à vérifier : qu’il aurait existé de nombreux fours sur le plateau aux époques lointaines ou les arbres étaient encore abondants. Mais de tels fours, forcément très anciens, seraient difficiles à détecter.
Il est intéressant de noter qu’on ne rencontre quasiment pas de fours à chaux sur le Causse Méjean, juste de l’autre côté de la vallée du Tarnon par rapport à la can. Camille Hugues interprète ce fait comme résultant d’un déboisement beaucoup plus précoce et poussé des causses, dû à des industries spécifiques, qui n’aurait pas permis de récolter le bois nécessaire aux fournées.
Le combustible
Le combustible utilisé dans le processus a lui aussi évolué avec le temps. Le bois a été exclusivement utilisé dans un premier temps. Mais ce matériau, même très sec et de qualité, permet difficilement d’atteindre les températures nécessaires et doit être utilisé en quantités impressionnantes. Jean Vignal doit ainsi brûler 1100 fagots d’un bois séché pendant 2 mois et demi pour produire 40 muids – 20 tonnes tout de même – de chaux ! (plusieurs journées de travail ont été nécessaires à l’équipe pour le couper et le préparer).
Le charbon de bois, plus performant, sera bientôt utilisé, et ce deux millénaires durant (sans pour autant que le bois, plus simple à obtenir, ne soit abandonné par les plus pauvres). Il était produit sur les lieux mêmes ou était récolté le bois, et donc parfois à proximité même du four. Bien plus tard, les fours industriels passeront au charbon, aux qualités thermiques très supérieures.

Inventaire des fours à chaux de la can
Les fours à chaux existant sur et autour de la can de l’Hospitalet sont tous relativement rustiques, mais sur ce modèle unique présentent une grande variabilité. Le diamètre de la chambre de combustion peut aller de 2 à 5 mètres, et sa hauteur varie de 1 à 2 mètres. Il peut exister ou pas une ouverture sur le côté, permettant sans doute un accès plus facile pour l’enfournage et le défournage.
Le parement interne est composé de pierres calcaires, à deux exceptions près (schiste). Les pierres peuvent être de taille et de forme très irrégulière, et sommairement empilées, ou au contraire soigneusement choisies et agencées, sans jamais cependant être taillées. Le parement est généralement vertical, mais à quelques exceptions près il s’étrécit légèrement vers le haut (à la manière de la base d’un igloo).
L’observation de cette diversité me fait penser que certains fours très rustiques (pierres non taillées, agencées à la va-vite…) ont été quasiment à usage unique, alors que d’autres, de grande taille, très soignés dans la construction, ont servi de nombreuses fois. Mais c’est une hypothèse à confirmer. Se pose d’ailleurs la question de l’entretien des fours à usage multiple : les pierres des parois sont, comme le minerai destiné à la chaux, soumises à des températures extrêmes qui les dégradent rapidement : il est facile d’observer des roches rubéfiées par la chaleur, et d’autres qui sont fracturées voire réduites en poussière. Y avait-il un entretien entre les fournées consistant à changer les pierres abîmées ?
Mes balades erratiques sur la can m’ont permis de recenser plusieurs dizaines de fours à chaux, en voici une cartographie sommaire (en cliquant sur les icônes, vous obtiendrez plus d’information sur chacun d’entre eux). Si vous en connaissez d’autres, merci de me les signaler.