L’aven des Corneilles

Pourquoi visiter l’aven des Corneilles, plutôt que l’aven Armand, son illustre voisin ? La question n’est pas anodine, car le grand frère Armand a de quoi séduire avec ses stalagmites en choux-fleurs, son funiculaire absolument pratique, son découvreur illustre et pilier de la spéléologie moderne, sa salle aux dimensions très vénérables, ses touristes nombreux et ébahis… Je ne manque pas, au moins une fois par an, d’aller faire la sortie traditionnelle à l’aven Armand avec quelques amis de passage… et j’en reste toujours sans voix !

Mais il faut également aller à l’aven des Corneilles, car il représente justement le contraire parfait de l’autre, et que les contraires se valorisent mutuellement. Pas d’intérêt à l’aven Armand s’il n’existe, quelque part, un aven des Corneilles, et vice-versa. Tout ici sera sujet à comparaison, à mise en perspective de l’autre site.

Draperies dans les premiers mètres

Cherchez bien sur la carte IGN : vous n’y trouverez aucun aven des Corneilles. Voilà qui est étonnant pour cette ample ouverture, forcément connue depuis toujours. Cinq cent mètres au nord, un autre aven de même taille s’ouvre au bord de la route : il a lui trouvé sa place sur la carte. L’aven des Corneilles serait-il un endroit à tenir secret ? Pour le trouver malgré tout, voici comment procéder. Montez sur le causse Méjean, et rejoignez l’aérodrome de Chanet. Prenez plein nord, direction Fraissinet de Poujol. A 2 km, tournez à gauche vers Vallongue, pénétrez une épaisse plantation de résineux. Parcourez encore 1,5 km. A mi-chemin entre un virage à droite bien marqué et la sortie de la forêt, une ébauche de trace s’amorce à gauche et s’enfonce dans l’ombre des pins… Pas de parking, pas de drapeaux de différents pays de la communauté européenne, pas de cars rangés en épis, pas un bruit. Seul le doute d’être bien à l’endroit qu’il faut. Un petit cairn est parfois dressé au bord de la route mais même sur lui il ne faudra pas trop compter car régulièrement il disparaît mystérieusement, éparpillé par des esprits farceurs.

La trace serpente sur une épaisse couche d’aiguilles. De loin en loin, quelques maigres rayons de soleil parviennent à percer le couvert végétal étouffant et posent des taches de lumières sur le sol acide. Après quelques minutes de marche silencieuse, l’ambiance sonore se modifie subtilement : à travers la cotonnade étouffée du sous-bois pointe autre chose… une sorte d’écho, imprécis et lointain… C’est sûr, il y a « quelque chose » dans cette direction. Sous l’effet de l’excitation le pas s’accélère. Il semble… que droit devant, le couvert végétal est moins sombre… Oui, c’est bien ça : une clairière s’ouvre un peu plus loin… C’est en courant que l’on fait irruption dans cet espace lumineux, centré autour d’une bouche énorme et sombre, qui dégage une aura de fraîcheur dans la chaleur de l’été brûlant. Au dessus de l’entonnoir vertigineux, des oiseaux noirs tournent, plongent, surgissent… ce sont des corneilles, bien sur ! Les corneilles de l’aven.


L’entrée, maintenant presque entièrement dissimulée par les arbres qui y ont poussé.
Descente de la rampe d’accès à l’aven des Corneilles

Après un moment de saisissement, l’observateur attentif détecte, sur la gauche, un versant moins raide. Il semble même y avoir… un sentier, oui, un sentier qui serpente tranquillement vers l’abîme. Non, décidément, cet aven ne ressemble pas au frère Armand et à tant d’autres des environs : ici, pas de puits vertical nécessitant cordes et matériel spécialisé. L’aven des corneilles s’ouvre en pente. Une pente certes raide (35 degrés, peut-être) mais, grâce à ce sentier, praticable par des gens ordinaires.

C’est donc, ici comme là-bas, par cette sorte de funiculaire rustique que l’on pénètre dans l’antre des corneilles.

Luxe inouï pour une incursion sous terre, les premières dizaines de mètres se parcourent en plein soleil. Tout doucement, on s’approche d’une lourde voûte rocheuse à laquelle un bloc rocheux effilé, tombé en travers de l’embouchure sombre, donne l’allure d’une gueule grimaçante, comme en dessinait Druillet, l’auteur de BD de science-fiction. Finalement, on pénètre dans l’obscurité. La tache de ciel s’éloigne peu à peu. La faible lumière qui en provient encore n’éclaire bientôt plus que quelques aspérités dépassant de la pente unie.

Lorsque l’on s’enfonce dans les profondeurs de la terre, un rond de lumière reste visible un moment

Soudain, on est en bas. Pas « tout en bas », bien sûr. En bas de cette pente facile. Le sol s’aplanit sur quelques mètres, puis plonge à la verticale. Ici commence le royaume du dessous, celui qui est réservé aux spéléologues, aux chauves souris, et aux phantasmes inavouables. Une corde, fixée de loin en loin à la paroi verticale, traverse l’abîme en suivant un cheminement aérien de vires minuscules. Comme une invitation. Voilà la différence ultime entre les corneilles et Armand : au bas de la pente des Corneilles, aucun guide en livrée rouge ne nous attend pour nous proposer une visite guidée et sécurisée. Dans la solitude obscure, chacun doit faire son choix.

Descendre le puits est impossible sans équipement spécial. Ne le regrettez pas, il mène vers un cul de sac. Il sera plus facile, bien que dangereux pour le non spécialise, de suivre la corde (ne vous y engagez pas sans matériel et savoir-faire adapté). Elle mène à une plateforme. Grattez-y quelques stalactites sonores au passage.

Première petite difficulté, la montée vers la galerie supérieure
Mais ça passe
Après la corde, l’étroiture

Une courte étroiture donne accès à une galerie plus ample, riche en belles concrétions. Au delà, les choix se multiplient, menant vers des galeries de plus grande ampleur mais à l’accès légèrement techniques. Vous, moi, ferons souvent demi-tour à cet endroit.

Les deux niveaux de la galerie supérieure
Tout au fonds, un petit lac aux eaux claires

Lors de la remontée, quelques mètres avant d’émerger à nouveau de la voûte rocheuse, une cavité secondaire attire le regard, dans un recoin sombre. J’y pénètre et me voici dans une sorte de nid assez douillet et intime : elle forme comme une petite pièce ovale, de 3 ou 4 mètres de long, haute de moins de 2 mètres. Des hommes ont vécu là, il y a très longtemps. A l’inverse de ceux qui s’installaient sous des porches ensoleillés au pied des falaises orientées au sud, ceux-ci ont choisi cette grotte-au-fond-d’une-une-grotte. Choix sans doute judicieux pour passer l’hiver : la température devait y être d’une remarquable stabilité. Mais aux premières douceurs du printemps, ils devaient se hâter de trouver un gîte plus rieur.

Le topo. Merci aux auteurs

Il se raconte que tout au fond de l’aven, bien au delà du puits, existe une salle décorée. L’homme de la grotte-dans-la-grotte est donc allé jusque là-bas ? Un jour, peut-être, j’irai et je saurais.

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