Cassini par derrière

Vous le savez, ou pas, avec ses 1680 mètres d’altitude le Pic Cassini est le second sommet du Massif du Mont Lozère, (et du département de la Lozère, d’ailleurs) après le pic de Finiels (1699m). Sont-ce ces 19 petits mètres de différence qui sont responsables de sa moindre fréquentation ? C’est bien dommage, ou pas, car on y est souvent très tranquilles. En tout cas c’est un magnifique objectif de balade, à mon goût plus diversifié que son grand frère.

Avant de mettre le chemin sous nos pieds, je vous propose de nous arrêter un instant sur l’histoire de son nom, qui raconte une histoire passionnante.

Au XVIIè siècle, l’humanité toute entière est engagée dans une immense opération d’approfondissement de la connaissance de la planète. Partout des explorateurs explorent, des géographes compilent, des aventuriers aventurient. En royaume de France, où cela fait déjà belle lurette qu’il ne reste plus aucun nouveau territoire à découvrir, on en profite pour approfondir. On précise ce qu’on sait déjà. On dessine, on mesure. Une cartographie beaucoup plus précise que tout ce qui existe est commanditée par l’État, en la personne du bon Roi Louis XIV.

L’académie des sciences se met au travail. Avant même de tracer la moindre carte, il faut mettre en place un canevas de points de repère sur le territoire, qui serviront de base pour la suite. On utilise pour cela un système de triangulation. On commence par choisir trois points bien visibles dans le paysage, puis on mesure les angles sous lesquels ils apparaissent les uns par rapport aux autres, afin de définir un triangle à la forme très précise. Comme vous le savez depuis le collège, ou pas, si vous mesurez la longueur d’un des côtés d’un triangle aux angles connus, vous pouvez en déduire la longueur des deux autres en appliquant quelques opérations de trigonométrie simple. Puis on recommence avec un autre triangle ayant un côté en commun – et donc de longueur connue) avec le précédent. De loin en loin, on établit ainsi un maillage de triangles dont tous les angles et toutes les longueurs sont connus. On peut les reporter sur une feuille de papier, situant ainsi correctement ces points remarquables les uns par rapport aux autres.

Cette opération de triangulation va durer près d’un siècle. C’est une aventure épique, passionnante. Des centaines de géomètres arpentent notre beau territoire de France dans ses moindres recoins, escaladent, dévalent, montent et démontent des appareils de visée pensant comme des ânes morts. Parmi ces illustres inconnus, une famille s’illustre particulièrement : les Cassini, qui consacreront quatre générations des leurs à cet ouvrage enthousiasmant. Une vraie affaire de famille, qui fera entrer leur nom dans l’Histoire.

Dans les trente premières années du XVIIIème siècle, on commence par relever le méridien de Paris, puis la perpendiculaire Brest – Paris – Strasbourg. On « fait » ensuite les côtes et frontières, puis des perpendiculaires supplémentaires. Et notre pic, vous l’avez maintenant compris, a été choisi pour constituer l’un des points de ce premier maillage, le sommet d’un des triangles initiaux. Mais il pose un problème aux géomètres. Car pour bien trianguler, voyez-vous, il faut disposer d’un point précis, facilement repérable. Or le futur Pic Cassini, contrairement à ce que son nom actuel pourrait laisser penser, présente un profil qui ressemble plus au dos d’une baleine qu’à l’Aiguille du Midi. Difficile de le viser avec précision. Alors, comme sur les autres sommets trop flous du royaume de France, on y construit un gros cairn en pierre sèche.

Une première carte de France est publiée en 1744. Elle est évidemment très incomplète. En plus des frontières et des quelques méridiens et perpendiculaires, elle ne mentionne que les grands fleuves et quelques villes, laissant vide de données d’immenses étendus de territoire. Mais c’est une première étape, fondatrice. Notre pic y apparait logiquement, sous le nom de « Signal de Bellecoste » (Bellecoste est le nom d’un petit hameau aujourd’hui presque totalement en ruine, situé entre mas Camargue et le mas de la Barque, à 3 km au sud du pic). A l’époque il était également appelé le Malpertus.

Pendant des décennies la triangulation continue, comblant les vides, dessinant des triangles de plus en plus petits et précis. Elle s’achève en 1783 avec un maillage définitif de près de 2000 triangles. C’est en se basant sur celui-ci que seront ensuite positionnés les détails du paysage, les reliefs, forêts, villages, routes et chemins, etc… Donnant naissance aux fameuses « cartes de Cassini » telles qu’elles sont parvenues jusqu’à nous.

Moi qui suis curieux de tout ce qui concerne le passé (ainsi que le présent et l’avenir, d’ailleurs, mais cela est hors sujet ici) de mon petit coin de planète, je passe pas mal de temps à étudier ces cartes pour y chercher des informations, et je peux vous dire que si les sommets des triangles originaux sont bien placés, le reste est généralement assez imprécis. Des pics se téléportent parfois par magie tandis que des vallées entières se volatilisent. Quant à la graphie censée visualiser les reliefs, elle est franchement peu lisible. Mais bon, ne soyons pas chiens avec les Cassini, ils ont tout de même fait un énorme boulot qui a le mérite d’exister.

Ci-dessus, la carte de Cassini de la partie est du Mont-Lozère. On constate que le Pic Cassini, représenté par le petit monticule au centre, traversé par la ligne pointillée du chemin de crête, n’a pas droit à son altitude ni son nom, c’est un comble !

Dans les années qui font suite à cette aventure, le nom de Cassini va progressivement être associé au sommet. Celui-ci sera d’abord désigné de diverses manières : « Truc de Cassini », « Signal de Cassini »… avant de fixer définitivement le nom de »Pic Cassini », quelques décennies plus tard. Comment et pourquoi a-t-il changé de nom ? Y a-t-il eu une démarche volontariste de la part des géographes, ou bien les habitants des environs lui ont-ils attribué un sobriquet qui a fini par être adopté ? Mystère !

Pendant ce temps, sur le sommet, le cairn de visée qui n’a pas été conçu pour durer s’écroule tout doucement, puis disparaît totalement du paysage. En 1824, lors d’une nouvelle campagne de cartographie dont l’objectif est de créer une génération de cartes bien plus précises, les fameuses « cartes d’état-major », un « signal trigonométrique » y est érigé. Mais je ne sais pas s’il s’agit déjà de celui qui existe encore aujourd’hui. Si quelqu’un a la réponse merci de la partager.

Objectif : le sommet du Pic Cassini, coiffé de son tétrapode

Bien. Ceci étant posé, il reste à y monter, sur ce Pic Cassini. L’itinéraire « classique » consiste en un simple aller-retour depuis le Mas de la Barque. Je vous laisse le découvrir par vous-même, il est abondamment renseigné. Je vous suggère donc une variante très chouette, peu courue, moins bien balisée certes mais plus diversifiée. Comme d’hab je vous donne les grandes lignes, pour le reste consultez votre carte et réfléchissez.

Départ du Mas Camargue. Prenez le départ par le sentier d’interprétation du Parc national des Cévennes. Si vous en avez le courage, à 600 mètres du départ au lieu de tourner à droite pour suivre le sentier qui fait un fort virage, montez tout droit et rejoignez une belle prairie humide magnifique.

Puis rejoignez le sentier aux alentours du point côté 1433 et continuez plein nord direction les sources du Tarn. Au pont côté 1533 partez vers le nord est dans le lit d’une petite rivière et rejoignez la route forestière.

En montant vers la route forestière

De là, un sentier non indiqué sur la carte mais balisé et bien tracé dans le paysage part plein ouest puis sud-ouest sur une vaste épaule nord, confortable comme tout. Arrivée après 2 km à un très vaste col, avec en face un chemin bien visible qui monte au Cassini.

Dans les callunes
Le col, et au loin le pic

Pour la redescente, prendre depuis le sommet le chemin qui part au nord-est et rejoint le vallon de la Levade. Au point côté 1548, prendre à gauche une sente peu marquée mais indiquée sur la carte. La laissez sur sa gauche en arrivant à proximité du point côté 1472, passer à droite, rejoindre la forêt, la traverser plein ouest (ça passe confortablement partout) jusqu’à rejoindre le sentier d’interprétation du PNC, retour à Mas Camargue.

Prairies d’altitude, forêts de hêtre, rivières, immensités de Callune, chaos rocheux, vues à l’infini, petits ruisseaux tortueux… c’est la balade totale.

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