Au fil du Bonheur

Tous les jeux de mot possibles ont été faits sur le Bonheur, cette rivière qui prend source près du col de la Serreyrède, sur le flanc sud-ouest de l’Aigoual. Elle n’est pas bien longue, à peine 8 kilomètres, mais elle a marqué de son nom toute la petite région de Camprieu. Autour du village, les commerces et sites s’appellent naturellement « L’épicerie du bonheur », « Camping du bonheur » ou « Lac du Bonheur ». On le comprend aisément : s’installer pour la nuit à l’auberge du Bonheur fait plus rêver (et payer) le touriste qu’un séjour à l’Hôtel du Pont Neuf – étape VRP.

Ce petit fil d’eau vive est singulier à bien des points de vue. Après un premier kilomètre de parcours forestier, il débouche dans une charmante petite vallée d’altitude pleine de curiosités. A droite, l’abbaye du Bonheur (comme il se doit) dresse des ruines pittoresques dans un site enchanteur qui ne laisse pas deviner les siècles de péripéties qu’elle a connu (je vous suggère d’effectuer quelques recherches bibliographiques sur le sujet avant de vous y rendre, c’est passionnant). Un peu plus loin à gauche, juste avant la Baraque Vieille, des prairies tourbeuses hébergent des petites plantes carnivores (les Droséras) pas si courantes. Le Bonheur continue à mener ses méandres de droite et de gauche au travers d’alpages ou paissent vaches et brebis, pour alimenter finalement un petit lac aménagé au pied d’un lotissement des années 60, qui paraît décalé dans cet environnement bucolique. Ironie du sort, c’est dans l’une de ces maisonnettes que vécut à temps partiel, plusieurs décennies durant, l’écrivain Jean Carrière (auteur du roman L’épervier de Maheux – prix Goncourt 1972, et La caverne des pestiférés, dont l’intrigue se déroule à quelques kilomètres de là), à qui le bonheur, le vrai, a éternellement échappé !

En approchant de la perte du Bonheur

Insensible aux turpitudes humaines, le Bonheur navigue encore un kilomètre au travers de prairies rustiques et tranquilles. Vers le sud, une falaise émerge de la végétation, et l’on s’interroge sur la manière dont le Bonheur va négocier cet obstacle. Au détour d’un rocher, l’énigme est résolue : une immense bouche sombre s’ouvre dans ladite falaise, et le Bonheur s’y engouffre sans autre forme de procès. En termes hydrologiques, le lieu ou une rivière pénètre sous terre s’appelle une « perte ». L’endroit s’appelle donc, logiquement, la « Perte du Bonheur ». Nom évocateur, en forme d’avertissement : continuer d’avancer risque d’avoir de fâcheuses conséquences, mieux vaut peut-être se contenter de ce que l’on a déjà ?

On peut donc choisir d’arrêter la balade en cet endroit impressionnant.  Il est possible d’y pique-niquer agréablement à l’ombre, les pieds dans l’eau, avant de s’en retourner vers le col de la Serreyrède. Mais, pour une fois, le monde souterrain est ici accueillant. Il est possible de s’aventurer un tout petit peu plus loin sans grand risque – du moins lorsque la rivière n’est pas en crue.

Une première section de galerie, rectiligne, mène facilement au pied d’un énorme aven, le « Balset », résultant d’un effondrement ancien de la galerie. La lumière entre à flot par cette large ouverture, permettant à toute une flore d’y trouver… son bonheur, bien sûr. La rivière entame alors un virage à 90 degrés vers la gauche et s’enfonce dans le noir suivant une pente assez forte. Les non spéléologues pourront encore parcourir quelques dizaines de mètres pour sentir l’ambiance des grandes grottes, puis des passages plus techniques les arrêteront. Tout se concentre en une unique galerie, très haute de plafond, au fond de laquelle coule le bonheur, parfois praticable à pieds secs, mais nécessitant souvent de nager dans dans une eau noire et profonde. Rien de vraiment difficile (en période d’étiage, du moins), mais cela nécessite une combinaison néoprène car l’eau est fraîche et un peu de connaissances du milieu souterrain. Cette traversée, accompagnée de considérations historiques et littéraires, est décrite ici.

Sous le « balset », un dernier rayon de lumière

Si vous ne souhaitez pas vous engager dans la traversée, il est toujours possible de rêver en contemplant la carte. Sous le plateau, au cours des millénaires, la rivière a creusé plus d’une dizaine de kilomètre de galeries, principalement réparties en deux groupes denses appelés « grand labyrinthe est » et « grand labyrinthe ouest ». Tout un programme. La plupart de ces galeries sont « fossiles » (aucune eau n’y coule plus), mais le Bonheur continue de tracer son chemin dans les galeries les plus profondes. Il traverse ainsi les deux labyrinthes sans s’égarer et émerge, après un parcours de quelques centaines de mètres, dans l' »Alcôve » (tout un programme pour un Bonheur partagé !), un étroit cirque de falaises. C’est le célèbre « Abîme de Bramabiau », site touristique que vous pourrez visiter moyennant finance.

Au delà du balset, la rivière plonge définitivement dans le noir

D’une haute et fine embouchure surgit une cascade bruyante, dont le puissant bruit a été comparé à celui d’un bœuf qui brame (bramabuòu en occitan). Un guide muni d’un porte-voix pour dominer le vacarme ambiant vous emmènera à la découverte des galeries du Grand Labyrinthe Ouest.  Quelle différence d’ambiance entre l’entrée et à la sortie du parcours souterrain du Bonheur : calme, soleil et gratuité d’un côté, vacarme, ombre, foule, humidité et billet payant de l’autre. A quelle extrémité va votre préférence ?

Arrivée au bord de la rivière. Au delà, il faudrait nager…

Au delà de la cascade, il n’est plus de Bonheur. La rivière a changé de nom et s’appelle maintenant « Le Bramabiau ». Elle va se jeter, quelques kilomètres en aval, dans le Trévezel. Mais cela est une autre histoire.

Conseil de balade

La balade la plus logique consiste tout simplement à descendre le cours du Bonheur. A partir du col de la Serreyrède, suivre le GR 62 (n’hésitez pas à quitter le sentier pour aller visiter l’abbaye). Une fois au lac, quitter le GR 62 pour prendre à droite vers l’Aubespi, puis tourner à gauche sur le GR 66 A jusqu’à la perte du Bonheur.

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