Nouvelles empreintes de dinosaures à Saint-Laurent-de-Trèves : journal d’une découverte paléontologique

Mai 2023

Les champignons, ça mène à tout. Ecoutez plutôt.

Ce jour là, quelque part sur le plateau qui domine Saint-Laurent-de-Trèves, Sophie était comme à son habitude en chasse autour de ronds de sorcière hébergeant parfois des Mousserons de la Saint-Georges. Peu concerné par cette quête, je baguenaudais dans les travers, suivant une trajectoire erratique qui n’avait d’autre objectif que de passer le temps. La parcelle, récemment défrichée, présentait une surface chaotique, entremêlement de souches calcinées, de cailloux entassés et d’épineux en reconquète. Passant sans y faire attention au large d’une bande rocheuse, je sentis s’allumer le petit avertisseur que connaissent tous les passionnés de prospection archéologique. « Qui sait ? ne sois pas fainéant, jette un oeil ! ». Je fis donc demi-tour pour comprendre ce qui avait déclenché ce signal.

Là, sur la surface rocheuse, se dessinait nettement une empreinte de dinosaure.

Photo Marc Lemonnier

Comment avais-je pu passer tant de fois à proximité sans la voir ? Question de lumière, probablement. A 19 heures le soleil, déjà bas, dardait ses rayons dorés presque à l’horizontale. Cette incidence rasante mettait en valeur les moindres reliefs, rendant visible ce qui ne l’aurait pas été plus tôt en journée.

J’avais sous les yeux une « Patte de poulet » comme les appelle ma voisine, petite empreinte gracile à trois doigts, si différente des énormes empreintes de TRex ou de diplodocus que le grand public associe généralement aux dinosaures ! Je la reconnus instantanément : elle ressemblait comme une soeur à celles que les touristes viennent admirer sur le Castelas de Saint-Laurent-de-Trèves, identifiées dans les années cinquante. Depuis cette époque, des dizaines d’autres sites ont été découverts en vallée du Tarnon et aux alentours, à tel point que le secteur des Grands Causses, dont fait partie la « can » (le plateau) de Saint-Laurent-de-Trèves, est connu des paléontologues du monde entier comme un immense « méta site ».

Trouvaille modeste donc, que cette empreinte unique d’une espèce probablement déjà connue et abondante. Sophie, à laquelle je montrai fièrement ma trouvaille, le comprit instantanément : après avoir approuvé avec bienveillance, elle s’en retourna vers ses amoureux à pieds et chapeaux.

Malgré tout, la configuration du site semblait intéressante. Dans les années 60, un vieil habitant du Mazel, hameau situé à deux kilomètres à vol d’oiseau, sur le versant opposé de la vallée du Tarnon, avait lui aussi découvert une unique empreinte sur un rebord de rocher émergeant de l’herbe. Une fouille menée en 2018 avait permis de mettre au jour une soixantaine d’empreintes supplémentaires.

Photo Marc Lemonnier

Et pourquoi pas ici ? Des centaines d’empreintes ? Des espèces encore inconnues ? La machine à fantasmes était en train de se mettre en route. Pour rationaliser un peu, j’avais besoin des lumières d’un spécialiste. Il était facile à trouver : dans notre minuscule département est né l’un des Dieux français des empreintes de dinosaures !

Années 90

Le petit Jean-David a une passion : les dinos. Peut-être la sortie du film « Jurassic Park », en 1993, y a t-elle contribué, comme pour des milliers d’enfants de par le monde ? La différence, c’est qu’autour du causse Méjean où il vit, ces drôles de bestioles ont laissé des traces : dès 9 ans, il observe ses premières empreintes fossiles sur le site de Saint-Laurent-de-Trèves. Le voilà ferré pour la vie. Ado, dès qu’il le peut il enfourche le vélo, et bientôt la mob’, pour parcourir la Lozère à la recherche de nouvelles empreintes. Armé d’une carte géologique, il repère les affleurements des couches connues pour en héberger et les prospecte méthodiquement. Les découvertes sont au rendez-vous, mais la quête est immense, et le jeune homme est bien seul. Les clubs de paléontologie les plus proches, à Alès ou Millau, sont beaucoup trop éloignés. Heureusement, la classe de seconde au lycée Chaptal, lieu de brassage intense de la jeunesse lozérienne, lui permet de rassembler une petite équipe de potes, bientôt aussi passionnés que lui. En 2005, pour donner de la visibilité et des moyens à leur quête, ils créent l’Association Paléontologique des Hauts Plateaux du Languedoc (APHPL). Le BAC, raté cette année là, a peut-être fait les frais de l’aventure, mais c’est pour la bonne cause : dès l’année suivante, diplôme finalement en poche, Jean-David s’engage résolument dans la voie de la paléontologie professionnelle. A partir de la maîtrise, il mène son cursus à Dijon pour se rapprocher de l’unique spécialiste français des empreintes de dinosaures ! Mais il ne perd pas le nord (ou plutôt le sud) et propose à son mentor de mener ses premiers travaux de recherche sur les empreintes des grands causses. Requête acceptée !

Hélas, dénuée de financements et de débouchés, la paléo-ichnologie (étude des empreintes fossiles) ne nourrit pas son homme. Lucide, Jean-David fait un détour momentané vers un domaine plus accessible : la paléo-botanique. Sa thèse en poche, le Docteur Moreau va prendre sa revanche : pour améliorer la connaissance des écosystèmes du Mésozoïque, il participe à développer une approche nouvelle, combinant paléo-botanique, sédimentologie et… paléo-ichnologie ! Enfin, les dinosaures font officiellement partie de son travail !

Maintenant spécialiste reconnu nationalement et au delà, Jean-David continue pourtant à mettre ses compétences, sa légitimité et son temps au service de l’APHPL, toujours aussi chère à son coeur ! Avec les années, l’association élargit son audience. Le groupe de copains initial s’étoffe d’étudiants, d’amateurs, de chercheurs, largement extra lozériens, et toujours passionné.e.s bien sûr. L’association se démarque de l’immense majorité des clubs paléontologiques français (qui sont avant tout constitués de collectionneurs en quête de fossiles) pour faire de la science. L’équipe est maintenant capable de mener des campagnes de prospection et de fouille d’envergure, au sérieux reconnu.

Voilà le contact qu’il me fallait pour évaluer l’intérêt de mon empreinte.

Mai 2023

Sans sauter au plafond car il en avait vu bien d’autres, Jean-David prit néanmoins mon appel téléphonique au sérieux, et décida de venir faire une petite visite sur le site à l’occasion d’un passage en Lozère. Apercevant le rocher que je lui désignai, il s’exclama avec bonhomie : « Oho, deux empreintes complètes, tout à fait ! ». La bonne accessibilité du site, sa configuration presque horizontale facile à fouiller, lui semblèrent intéressantes. Il entama immédiatement l’établissement d’un relevé de terrain, avec dans l’idée de faire une demande d’autorisation pour une campagne de fouille.

Le paléontologue et le découvreur en grande discussion (Photo Sophie Lemonnier)

En repartant, Jean-David me fit un peu de pédagogie : « Par contre, Marc, on reste discrets, hein ? Et tu ne prends pas d’initiatives ! » Sacré JD, il commence déjà à me connaître !

Printemps 2024

Jean-David s’est bien bougé pendant l’hiver. Il a pris contact avec toutes les institutions concernées par les projets de fouille : propriétaire du terrain, Commune, Communauté de Communes, Parc National des Cévennes… curieusement, tout s’est enchaîné beaucoup plus simplement que ne me l’avait laissé espérer le souvenir d’une expérience précédente, une découverte archéologique suite à laquelle aucune fouille n’a pu être menée. Cette fois, l’autorisation a été accordée sans discuter et sans délais. L’opération est programmée pour le début du mois d’août.

Maintenant que le processus est engagé, un doute s’insinue en moi : et si cette empreinte était unique ? Et si le dinosaure qui l’a imprimée dans le sol avait subitement changé d’avis ? Apercevant au loin un animal appétissant, il aurait fait un dérapage contrôlé et changé de cap, laissant vierge la future zone de fouille ? Des dizaines de personnes vont peut-être consacrer une semaine de vacances à travailler pour rien !

1er août 2024

Le site est grandiose. Au premier plan, un vaste moutonnement herbeux bien dégagé, duquel émergent les strates rocheuses, dont l’une porte les empreintes. Derrière, s’ouvre le gouffre de la Vallée du Tarnon. Au delà, vers l’ouest, les immenses falaises du causse Méjean barrent l’horizon, surmontées par le Mont Gargo. Au sud, le Mont Aigoual domine l’ensemble. Si j’avais vécu dinosaure, j’aurais aimé laisser mes empreintes dans un endroit pareil.

Toute l’équipe de l’APHPL est à pieds d’oeuvre. Il y a là une quinzaine de personnes, étudiants, chercheurs, amateurs… plusieurs ont participé à la fouille du Mazel, en 2018. Que des passionnés ! Il va leur falloir du courage pour mener le job, car si l’été 2024 s’est montré plutôt frais jusqu’à présent, les grosses chaleurs viennent de s’installer pour quelques jours.

Les fouilleurs commencent à déblayer les alentours de la trace n°1. Le travail est facile, à cet endroit la roche n’est couverte que de quelques centimètres de terre. Très vite, une nouvelle empreinte apparaît. La direction de progression n’est pas la même, il s’agit donc d’un autre individu. Plusieurs autres empreintes sont révélées dans les heures qui suivent, mais aucune ne correspond à dino n°1. Finalement, on ne saura jamais s’il a continué tout droit, car un mètre plus loin, plusieurs strates rocheuses recouvrent l’espace où auraient pu se trouver ses empreintes suivantes. Et comme ces strates portent elle-même des empreintes (datant d’une époque plus récente, donc), l’équipe décide de les laisser en place, sans possibilité de savoir ce qu’il y a dessous. Un « Tiens » vaut mieux que deux « Tu l’auras » ! En tout cas l’honneur est sauf : il y a des empreintes partout, le chantier ne sera pas un échec !

L’empreinte n°1, une fois dégagée (Photo David Dickinson)

Rapidement, les découvertes s’enchaînent, révélant de nombreuses empreintes dont certaines sont organisées en cheminements se croisant en tous sens. Il y a eu du monde ici ! Et en plus, la qualité est au rendez-vous : les empreintes sont nettes et bien dessinées, d’un excellent niveau de conservation.

Jour après jour, l’épaisseur de terre à enlever augmente, et bientôt il faut aussi démonter des couches rocheuses qui sont venues se superposer aux niveaux à empreintes. Le travail est de plus en plus pénible, de plus en plus lent, mais les découvertes fréquentes aident le moral des troupes à se maintenir au beau fixe

Des habitants des environs, apercevant la fourmilière en action, s’approchent en curieux. Bien accueillis par Jean-David qui est à son affaire dans ce rôle de médiateur, ils reviennent les jours suivants avec la famille et les amis, pour suivre la chronologie des découvertes. Certains se mettent même au travail avec l’équipe qui reçoit les coups de main avec gratitude.

Le bruit court dans la vallée. Les médias locaux arrivent bientôt sur le site, interrogent, filment, publient des articles, jonglant comme ils peuvent avec des termes trop spécialisés pour leurs publics. Pour diversifier un peu leur information qui tourne essentiellement autour des jeux olympiques Paris 2024 qui battent leur plein, les médias nationaux reprennent à leur tour cette matière succincte et la republient sans cesse, parfois avec des erreurs. Qu’importe, pendant quelques jours, ce petit bout de plateau bruisse de passion et d’énergie.

Conférence sur le site (Photo Rémi Flament)

Cinq jours plus tard, le chantier touche à sa fin. Il aurait pu se prolonger encore longtemps, car dans toutes les directions, c’est certain, il y a encore des empreintes à dégager. Mais il faut bien s’arrêter quelque part, l’énergie et la disponilbilité des fouilleurs ne sont pas infinies. La dalle de 150 m², parfaitement nettoyée, est numérisée pour permettre de mener des études complémentaires en laboratoire, qui seront plus précises que sur le terrain. Et puis, pour protéger les empreintes de l’érosion, mais aussi des humains qui hélas ne manqueraient pas de se servir, l’équipe remet en place les tonnes de terre et de cailloux déplacés, et recouvre la zone.

Le lidar, système de numérisation 3D (Photo Rémi Flament)
Le site en cours de réenfouissement (Photo Rémi Flament)

Depuis, l’herbe repousse sur les remblais. Bientôt, les deux empreintes d’origine, laissées apparentes, seront les seuls témoins de l’agitation qui a régné ici quelques jours. Mais là-dessous…

L’équipe des fouilleurs au grand complet (Photo Rémi Flament)

Et les données ?

En bons scientifiques, les paléontologues sont des gens prudents. Ils n’affirment rien dont ils ne soient certains. Voilà pourquoi cet article n’apporte pas d’informations précises (noms d’espèce, comportements, données environnementales…). Celles-ci viendront plus tard (dans quelques mois, voire quelques années), après les études en laboratoire, et la publication d’un article de synthèse dans une revue scientifique. Il faudra attendre !

Pour tempérer un peu la frustration, et si l’on fait l’hypothèse que le site présente des caractéristiques proches de celles du site du Mazel, la lecture de l’article sur la fouille de 2018 pourra vous apporter des informations intéressantes.

Merci à Rémi Flament (https://www.remiflament.com) et David Dickinson pour les photos. Merci à Jean-David pour sa pédagogie permanente et son temps.

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