Vieux cévenol versus vieux cévenol

Il y a quelques temps, un ami m’a confié une colère. Désireux de créer un jardin potager, il avait été demander à un vieux cévenol de ses voisins de lui prêter un petit bout de terrain. Le vieux cévenol avait refusé. Mon ami était fou de rage. Visage rouge, veines du cou gonflées, il crachait sa colère au monde entier. « C’est dingue ! Sa petite terre, dans la famille depuis des générations, fallait pas la toucher, tu comprends ? Trop peur qu’on lui vole sa petite propriété privée. Alors qu’il en fait rien, et que moi je suis prêt à l’entretenir. Quel vieux con !»

En écoutant mon ami j’étais mal à l’aise. Sa rage était si forte… Suite à cette mésaventure il détestait l’homme en bloc. Ça ne me semblait pas juste.

Quelques temps plus tard, le même ami m’a confié un grand bonheur. Ayant finalement réussi à trouver une terre, depuis quelques jours il passait du temps avec un autre vieux cévenol qui lui apportait des conseils de jardinage. Les yeux humides d’émotion mon ami témoignait : « C’est fou toutes les techniques qu’il connaît pour limiter les parasites et les chenilles sans produits chimiques. Quand je vois qu’on réinvente des engrais verts, pendant que lui il fait des trucs qui ont des siècles et qui marchent super bien. En plus, il les partage, ses connaissances, il demande qu’à donner… C’est vraiment un vieux sage ! ».

En écoutant mon ami j’étais mal à l’aise. Son admiration était si inconditionnelle. Il adulait l’homme en bloc, comme s’il y avait tout à apprendre de lui et que le reste de l’humanité était dans l’erreur. Ça ne me semblait pas juste.

Longtemps je tournai et retournai ces deux témoignages dans ma tête, sans trouver comment les rapprocher, les rendre compatibles avec mes propres ressentis concernant mes frères humains. Peu à peu je vis se dessiner une perspective.

Ce vieux cévenol qui ne prête pas sa terre, et cet autre vieux cévenol qui partage avec cœur ses savoir-faire traditionnels, ce ne sont pas réellement deux personnes différentes. Ce sont deux facettes possibles d’une même personne. Et elles peuvent parfaitement cohabiter !

L’humanité n’est pas composée d’une part de vieux cons et d’autre part de vieux sages. Une personnalité, c’est complexe, riche, foisonnant, changeant. Nous avons tous des faces lumineuses et des faces plus sombres. Nos blocages et nos ouvertures. Pour appréhender une personne au plus près de sa réalité, il n’y a pas d’autre solution que de faire sa connaissance dans son entièreté. Se focaliser sur un seul aspect de sa personnalité ne nous en donnera qu’une image fausse, et conduira à un ressenti exagéré. Untel agit d’une manière qui me déplaît ? Certes c’est désagréable, mais il est certainement riche d’autres facettes qui pourront m’être agréables ou utiles. Un autre tel me semble le plus agréable des compagnons ? Je tâcherai de ne pas l’oublier lorsqu’il aura un jour, inévitablement, une réaction qui me déplaira !

La méfiance réciproque qui perdure parfois entre certains cévenols et certains néo-arrivants trouve, d’après moi, ses racines dans le jugement à l’emporte pièce, basé sur une simplification de l’autre. Cela est vrai à toutes les échelles de la société humaine. Au sein d’un couple, dans une famille, un groupe culturel, un village, un pays, le monde…

Moi qui souhaite profondément vivre en paix et en bonne entente avec tous sur cette planète, j’ai envie de faire vraiment attention à considérer mes frères humains dans la globalité de leur personne. A commencer par mes plus proches voisins.

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