Le site des empreintes de dinosaure de Saint-Laurent-de-Trèves

Le village de Saint Laurent de Trèves est situé en position avantageusement dominante au dessus de la vallée du Tarnon, sur une arête rocheuse qui se détache de la can de l’Hospitalet. Au bout de la minuscule ruelle centrale, un chemin part vers la droite et monte vers un lieu magnifique, chargé d’Histoire. Le « castelas », comme on l’appelle par ici.

Contre toute attente dans ce pays si pentu, le chemin mène en quelques dizaines de mètres à un petit plateau couvert d’une belle prairie parfaitement plane, où il fait bon venir prendre le soleil en fin d’après-midi, lorsque le vent presque permanent veut bien se calmer. La vue porte à l’infini dans toutes les directions. Au sud, l’Aigoual porte les derniers lambeaux de neige de l’hiver finissant. Au nord, l’immense ligne inclinée du Mont-Lozère barre mollement l’horizon. A l’est et à l’ouest, les falaises du causse et de la can montrent leurs dents. On est au centre de tout ça.

Un jour, il y eut en cet endroit un château. Le contraire eut été étonnant sur un site dominant comme celui-ci, qui plus est plat, vaste et pratique d’accès. Il est par contre tout à fait frustrant de n’en plus trouver trace, comme par exemple un restant de mur effondré, une douve, un souterrain secret qui mènerait au bas de la barre rocheuse, que sais-je… mais non, rien : la prairie est rase comme le plat de la main ! L’édifice a été détruit au XVIIème siècle puis, le sens pratique des populations locales faisant le reste, chaque élément en a soigneusement été récupéré et recyclé. Même dans ce pays de pierre, la pierre reste une denrée précieuse, surtout lorsqu’elle est taillée. De fait, on retrouve, ça et là dans le village, des signes prouvant incontestablement que l’histoire est vraie, comme cette clède située sur la place du village dont le linteau arbore, très au dessus de sa condition, les armoiries du château.

Le plateau du castelas à Saint Laurent

Depuis toujours, les habitants de Saint Laurent se sentaient donc en noble terre. La présence d’empreintes à 3 doigts dans la roche à nu du castelas ne les avait jamais surpris : il s’agissait, ni plus ni moins, de fleurs de Lys gravées là par les lignées ancestrales pour marquer leur territoire. Un jour, des savants de la ville ont fait la promenade et reconnu illico dans lesdites fleurs les empreintes d’un petit dinosaure gracile : le grallator. Du jour au lendemain, Saint Laurent est devenu l’un des lieux qui comptent dans les Cévennes, passage obligé pour les touristes découvrant la région. Au cœur de la saison touristique, ce sont certains jours plusieurs centaines de personnes qui s’y rendent.

Pour moi qui habite le long de la ruelle menant au site, il est facile et toujours jouissif d’observer les groupes de touristes : à l’aller les deux parents couverts d’appareils photo marchent tranquillement, le sourire aux lèvres. Une grappe d’enfants court vers l’avant, excitée comme tout, revient en arrière, tire la main du père pour aller plus vite. Une joie fébrile anime ce beau monde, enfin on va pouvoir VOIR les traces de ces bestioles qui nous font tant fantasmer.

Quelques minutes plus tard, le retour se fait en silence. La famille est morne. La bande d’enfants traîne la jambe. Le petit dernier, les épaules hautes, les mains fouies dans ses poches immensément profondes, shoote dans un caillou : « Putain, elles sont trop nulles ces empreintes ! ».

Ca c’est l’aspect amusant.

Le panneau vide, à l’entrée du site des traces de dinosaures de Saint Laurent

Presque inévitablement, lorsqu’ils repassent devant le porche de notre cour, les parents frustrés de découvertes suffisamment impressionnantes reportent leur attention sur l’architecture locale histoire de ne pas être venus pour rien. Si la porte de la cour est ouverte, au mieux ils se pressent dans l’encadrement et promènent le regard de droite et de gauche, au pire ils entrent et visitent tranquillement en faisant force commentaires. Quand l’un de nous vient à passer par là ils le hèlent en disant « Ah, un autochtone ! Dites moi mon brave, ça date de quelle année tout ça, c’est magnifique ! Ca doit être bien de vivre ici, enfin l’été quoi, en hiver ça doit être vraiment mort ! ». Bon, j’avoue, personne n’a jamais prononcé cette phrase exactement, disons que c’est un résumé de l’ensemble des phrases les plus prononcées.

Lorsque la porte est fermée, tout le monde s’agglutine aux nombreux trous et fentes perçant le bois pour scruter les mystères de la cour. Si l’un d’entre nous vient à y passer, les nombreux yeux roulant de droite et de gauche disparaissent promptement et le groupe court se réfugier à l’abri de notre courroux un peu plus loin dans la rue.

Ca c’est moins drôle, mais on n’a rien sans rien.

Et pourquoi les gens reviennent-t-ils déçus du site des dinosaures ? Tout simplement parce que les grallators, ces bestioles de mauvaise volonté, n’ont fait aucun effort : leurs traces mesurent tout au plus 20 malheureux centimètres de long, c’est bien peu pour impressionner un enfant de l’ère moderne qui a vu et revu Jurassic park 1, 2, 3, 4 et 5 sur un écran géant avec son Surround.

Une trace de grallator minusculus, à Saint Laurent

Mais rassurons-nous : pour compenser ce manque de centimètres et donner tout son intérêt à la visite, le Parc National des Cévennes a installé sur le site un fort intéressant sentier de découverte sur lequel j’aimerai à présent vous dire quelques mots pour vous inciter à ne pas louper ce site d’intérêt pédagogique international.

Sur des panneaux blancs disposés ça et là au travers de la prairie, proches des affleurement rocheux portant les traces, des texte scientifiques expliquent la formation des reliefs, l’allure qu’avaient les paysages au crétacé et le mode de vie des grallators. Les concepteurs du sentier ont eu une idée lumineuse : pour ne pas indisposer le touriste saturé et sursaturé d’information, il lui est proposé deux niveaux de lecture. Le premier panneau donne la règle que voici : « Le visiteur pressé pourra obtenir l’essentiel de l’information en ne lisant que les mots marqués en gras« .

De fait, chaque panneau propose un texte assez détaillé, dont certains mots, astucieusement choisis, ont été mis en gras de manière à reconstituer une phrase qui tienne à peu près debout. En plissant les yeux et en essayant de faire abstraction des caractères maigres, on peut lire quelque chose comme « Au crétacé……. près d’une lagune peu profonde….. vivait ici une espèce de dinosaures…. les grallators ». De telle sorte que, ô miracle, on peut lire un panneau en moins de 4 secondes. Certains groupes particulièrement pressés peuvent donc se garer au frein à main sur le parking, monter en courant jusqu’au site, activés par l’accompagnateur qui scande le rythme, faire un footing circulaire de panneau en panneau, et à raison de 4 secondes par arrêt, de 6 secondes de transit et de 40 secondes pour relier le car au site et vice-versa, repartir vers le prochain site intéressant en moins de 2 minutes et 12 secondes ! Près de 250 sites peuvent ainsi être visités dans une seule et même journée, c’est une formidable réussite pour le tourisme de notre région et le progrès de l’intelligence humaine.

Des petits cailloux autour de la trace de dinosaures

Un jour d’octobre, aux alentours de 18 heures, nous sommes montés en famille faire un petit tour sur le plateau. La saison touristique était finie, nous étions seuls. L’air était immobile, tellement silencieux qu’on entendait parfaitement le silence qui coulait là-bas, le long des pentes du Mont Aigoual, à 25 km. Le soleil était bas sur l’horizon, et ses derniers rayons venaient jouer dans les herbes hautes. Nous nous sommes assis et avons attendu. Au bout de quelques minutes, trois grallators sont sortis du couvert du bois et se sont prudemment approchés de la lagune. Nous les avons regardés boire.

16 décembre 2003

PS : Janvier 2004. Hier soir je suis allé faire un tour aux traces. Comme parfois. Surprise : le fameux panneau qui donne la règle du jeu a disparu, remplacé par une présentation générale du site pas tellement plus attrayante mais beaucoup moins drôle sans la blague des caractères gras. Je retire donc tout ce que j’ai dit !

PPS : les autres panneaux présentent toujours leurs caractères gras.

PPPS : février 2004. Plusieurs traces ont été entourées de petits cailloux, probablement par un enfant que ces modestes témoins d’un autre âge de la terre ont réussi à faire rêver, et qui a, par ce geste sacré, marqué son lien à la nature… Tout n’est pas perdu pour l’humanité.

PPPPS : mars 2006. Deux ans après, un témoin direct de l’affaire précédente me raconte que ces cailloux ont en fait été disposés autour des traces pour les mettre en évidence aux yeux d’un groupe de touristes trop bigleux. Je retire tout ce que j’ai dit sur l’avenir de l’humanité !

PPPPPS : mai 2006. Le panneau d’interprétation qui fait l’entrée du site, celui là même qui expliquait comment lire les caractères gras pour foncer, est maintenant totalement blanc, effacé par les années. Le visiteur doit se tenir devant, faire le vide dans son cœur pour accueillir humblement l’esprit du lieu. Alors, seulement, le panneau indiquera ce qu’il est bon de connaître. Je remets la phrase sur l’humanité.

Le site des traces, sous un autre jour…

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