Balade alpinisto-spéléologico-ski de randonnesque aux grottes glacées du Marboré

40 kilos. Cette fois ci nous avons 40 kilos sur le dos. C’est de la folie pure et simple. Nous sommes Yvan et moi pliés en deux sous des sacs difformes d’être trop remplis, progressant à enjambées minuscules dans la pente de neige, à grand renfort de pauses incessantes. Il est déjà 18 heures, et nous sommes bien, bien loin de l’objectif que nous nous étions assigné pour la nuit. Comment aurions-nous pu monter plus vite sous cette charge effarante ? Comment ais-je pu imaginer que ça ne serait pas un problème ?

Déjà le jour baisse et la lumière vire au roux. Il n’y a pas un souffle d’air. Loin au dessous, une immense mer de nuages recouvre la plaine, ne laissant dépasser que quelques massifs lointains. La vue est fantastique. A couper le souffle, pourrions-nous dire si ce n’était déjà fait. On n’est pas si mal, dans notre malheur, allez !

Dans nos sacs, il y a, pèle-mêle : de quoi bien vivre pendant une semaine (tente, couchage, nourriture, livres, quelques bonnes bouteilles de vin…), un classique équipement d’alpinisme (crampons, piolets, cordes, etc…), et un équipement spéléo (casques, carbure, jumars, etc…). Sans compter l’équipement de ski de randonnée que nous avons maintenant aux pieds, mais que nous avons lui aussi porté jusqu’au col de Boucharo.

Nous partons dans l’idée de nous installer confortablement en un endroit appelé « Col des Isards », situé à 2800 m en versant espagnol, non loin de la brêche de Roland, dans les Pyrénées centrales. Il y a là-haut plein de choses intéressantes à faire, mais l’une d’elles en particulier nous y attire depuis quelques années : tout un chapelet de grottes glacées y ont été découvertes relativement récemment. La plus célèbre d’entre-elles est appelée la « grotte Casteret », du nom de celui qui l’a méthodiquement explorée puis racontée, mais une vingtaine d’autres sont disséminées sur un espace de quelques kilomètres au pied des barres rocheuses qui ferment par le haut le cirque de Gavarnie. Le site en lui-même est déjà peu banal et force l’admiration : à 3000 mètres et plus, le minéral est omniprésent, les reliefs acérés sont mis en valeur par cette sécheresse qui caractérise souvent les versants espagnols des Pyrénées, les falaises s’entrecroisent à toutes hauteurs et dans toutes les directions, aussi loin que la vue peut porter. Mais le fait de savoir que sous cet univers de soleil cohabite un univers sombre et glacé, en partie inconnu, ajoute une dimension vaguement inquiétante qui fait battre le cœur un peu plus fort.

Nous avons souhaité prendre notre temps, explorer de manière méthodique toutes ces grottes, et en profiter pour faire un peu de ski et de balade à pieds. Nous avons aussi voulu nous écarter de la horde de vacanciers qui s’élancent invariablement à l’assaut de la brèche de Roland dès que la fonte des neiges le permet.

La solution la plus intéressante nous est vite apparue : il faut s’installer là-haut durablement, à pieds d’œuvre, et durant la saison calme, c’est à dire en hiver. Voilà pourquoi nous plions sous nos sacs ce jour de début avril dans cette montée ordinairement fréquentée en tous sens par des marcheurs du Dimanche.

Vers le col des Isards


Le col camp au col des Sarradets et la brèche de Roland

Nous voici au col des Sarradets. C’est certain, nous ne monterons pas plus haut aujourd’hui. Nous terminerons la montée demain, et perdons une journée pour notre projet d’exploration, voilà tout. Cet endroit est parfait pour planter la tente et installer un camp agréable, transformons donc cette contrainte en un moment de plaisir !

Enfin libéré du sac, petite promenade autour du col, dans les derniers rayons du soleil

Le lendemain, la dernière montée se révèle facile et rapide. Dans les pentes nord qui mènent à la brèche de Roland, la neige présente un curieux aspect que je n’ai jamais observé précédemment : Elle est poudreuse au dessous, recouverte d’une très mince pellicule de glace qui brille de mille feux dans le soleil du matin et se brise avec un son cristallin et léger à notre passage. Les débris glissent vers le bas en accélérant progressivement, jalonnant notre itinéraire d’une petite musique répétitive montant sans cesse vers l’aigu.

L’approche de la brèche de Roland est saisissante. Derrière nous, le paysage s’élargit à l’infini.

Nous surplombant de son énorme masse, la falaise de la brèche approche tout doucement.  Dans cette pente, compte-tenu de nos positions légèrement inclinées vers l’avant, le fait de lever la tête donne l’impression qu’elle penche tout entière au dessus de nous et qu’il s’en faut de peu pour que tout le paysage ne nous bascule dessus. Yvan et moi ne pensons même pas à prendre une photo, c’est pour dire…

Passée la brèche, nous pénétrons instantanément dans un autre univers. La chaleur monte de plusieurs degrés, le rocher apparaît partout, perçant la couche de neige. C’est l’Espagne. Très loin, très bas, les énormes falaises des prépyrénées aragonaises déploient leurs ondulations en vagues successives jusqu’à disparaître dans la brume de chaleur. Pour m’être déjà promené dans ces endroits, je sais que la vie y est rare, les traces humaines limitées à quelques villages minuscules et dépeuplés perdus au milieu de dédales de canyons asséchés. J’y ai toujours senti une parenté avec les paysages du Colorado, de l’Utah ou du nouveau-Mexique, au sein desquels se fondent totalement des populations d’indiens ayant parfaitement adapté leur mode de vie à cette sécheresse et à ce relief.

De ce côté-ci de la brèche, on se sent bien loin de la civilisation. Nous voici seuls avec la montagne et le grottes.

Vers note gauche, à environ 1 kilomètre et demi, légèrement en contrebas, une falaise se détache du versant et s’avance vers le sud sous forme d’un vaste promontoire : c’est le col des Isards, notre objectif. Au pied de la falaise, une virgule sombre est bien visible : c’est le porche d’entrée de LA grotte Casteret, la première à avoir été explorée, et la seule régulièrement fréquentée de nos jours. En nous installant au col des isards, nous serons donc à pied d’oeuvre, c’est le moins qu’on puisse dire !

Nous rejoignons le col en une longue traversée descendante qui passe juste sous la falaise. Bigre, quel surplomb impressionnant ! Le sol est constellé de cailloux qui se détachent sans cesse de la paroi sous l’action du dégel qui est maintenant à sa plus forte efficacité. Nous en entendons parfois siffler au loin, l’endroit n’est pas des plus rassurants et nous ne tardons pas, enchaînant aussi vite que possible nos virages dans cette pente malpratique car étroite, raide et constellée de cailloux.

Arrivée au col des Isards

Enfin, nous laissons nos sacs tomber lourdement dans la neige du col des Isards. Quelle récompense de nos deux jours d’efforts. Le site est parfait, il faut chaud, la vue est ouverte à 360 degrés, et nous sommes entourés de sommets et de grotte tous proches qui constituent pour nous des buts de balades courtes et faciles.

Première grotte

Une fois le camp installé, incapables de nous contenir d’avantage, nous nous précipitons sur nos skis et partons en direction du nord, pour rejoindre la falaise sommitale qui marque la frontière avec la France. Cette falaise se prolonge sur la droite aussi loin que porte le regard, et d’après la carte, quasiment jusqu’au Mont Perdu, distant d’une dizaine de kilomètres. Hormis la grotte Casteret, les grottes glacées sont disséminées au pied de cette falaise. Nous en aperçevons une ou deux de notre camp, mais il faudra chercher un peu pour les autres. Il semble d’ailleurs évident, vu la complexité et l’immensité du lieu, que de nouvelles grottes restent à découvrir un peu partout.

Un minuscule sac sur le dos, nous nous sentons incroyablement légers, et montons vers la falaise au pas d’un skieur de fonds. En 10 minute la montée est enlevée, et nous partons vers la droite en quête de cavités. La première ne se fait pas attendre. C’est un petit porche noir dans lequel descend directement une grosse congère de neige. Un courant d’air glacé monte vers nous.

Le passage de la lumière à l’ombre, de la chaleur au froid glacial, est rude. Plus encore que dans une balade spéléo ordinaire. Après avoir descendu quelques mètres dans le noir et la neige, nous restons debout, immobiles, encore aveuglés du souvenir du dehors. Pas de bruit, pas de gouttes tombant du plafond, tout est gelé ici…

Un porche noir

Peu à peu notre vue s’accommode, et nous permet de distinguer une masse plane et sombre recouvrant le sol… C’est un lac. Un lac gelé. Nous posons prudemment un pieds dessus, puis un autre. Malgré la transparence de la glace, Le faisceau de nos lampes ne parvient pas à éclairer le fonds. Quelle épaisseur fait cette glace ? Est-elle solide ? Et si elle casse sous notre poids, combien d’eau y a t’il en dessous ?

L’atmosphère, alourdie de ces questions sans réponse, me semble franchement hostile et inquiétante tout à coup. Est-ce que je ne suis pas en train de faire une connerie en m’aventurant là-dessus ? On a tellement lu et entendu raconter des accidents bêtes… Dans ma jeunesse, j’ai lu un roman de la bibliothèque verte, de la série « Les conquérants de l’impossible ». Si vous avez mon âge, vous connaîtrez peut-être. Le livre dont je parle s’appelait « Celui qui revenait de loin ». Ca racontait l’histoire d’un jeune noble au moyen-âge, qui s’aventure dans une grotte des gorges de la Jonte en Lozère (à deux pas de chez moi, justement) et qui tombe dans un lac d’azote liquide. pourquoi diable y-a-t-il de l’azote liquide dans les gorges de la Jonte, température moyenne estivale 30 degrés, ça je ne l’ai jamais bien compris. Toujours est-il que le gars tombe là-dedans, et il sent le froid prendre possession de lui, et le figer sur place. Il perd connaissance. Quand il se réveille, 800 ans ont passé. D’autres jeunes, d’aujourd’hui, l’ont retrouvé en faisant de la spéléo. Justement, tiens, leur père est médecin chercheur, il s’y connait, et il a tout de suite vu que le jeune noble n’était en fait qu’en léthargie profonde due au froid. Il le réveille tout doucement. Après, le jeune noble pète un plomb car tout a changé, en 800 ans, vous comprenez ? Mais ça se finit quand même bien, il finit par s’habituer, et il devient à son tour membre de la bande des jeunes conquérants de l’impossible. Ils auront beaucoup d’autres aventures. Voilà tout ce qui tourne dans ma tête pendant que je marche sur ce lac glacé, car je doute franchement que si je tombe dedans je ne sois qu’en hibernation.

Mais la glace ne bronche pas, chaque pas me rassure un peu, et bientôt j’ai oublié mes peurs. Nous déambulons en silence sur cette étrange chaussée qui crisse sous les pointes de nos crampons. Cette grotte n’est pas très vaste, mais chaque recoin est source de découverte. Par endroit, le plafond est constellé de cristaux de glace plus gros que tout ce que j’ai jamais vu : certains atteignent plusieurs centimètres de diamètre.

Ce gigantisme s’explique facilement : l’absence de vent et de raisons de destruction, les températures négatives toute l’année leurs permettent de se développer indéfiniment, tant que rien ne vient les détruire.

Un court ramping sur la glace nous permet de nous faufiler dans une petite salle dont le sol est une sorte de rivière de glace : on y distingue de petites cascades, des gourds, des lignes de courant, tout comme dans une rivière normale… sauf que ce qui coule lentement, siècle après siècle, c’est de la glace, parfaitement transparente. Signe de la lenteur du processus, des stalactites courtes sur patte et ventrues comme des mamas castillannes nourries à la tortilla, se sont formées sur ce sol qui se meut au ralenti. Nous rampons au cœur d’une étrange forêt de baobabs nains qui nous arrivent à hauteur des yeux.

D’autres grottes

Il serait long et fastidieux de raconter par le détail l’exploration de chaque grotte. Elles sont à la fois toutes différentes et toutes semblables, car composées des mêmes éléments. Partons plutôt à la découverte d’une grotte imaginaire, dans les entrailles de laquelle seraient regroupés les aspects les plus extraordinaires de chacune.

Dans un recoin de la grotte Casteret, sur la partie gauche, le sol glacé se dérobe et coule vers les profondeurs en une chute silencieuse. Une broche à glace, une corde, et l’on rejoint au bout d’une dizaine de mètres un nouveau plancher de glace  entouré de parois rocheuses… C’est la paroi de gauche de cette petite salle qui est stupéfiante : elle est entièrement constituée d’une glace sèche et dure. Étant donné sa position, il est facile de comprendre que ce mur est une coupe verticale du plancher glacé de la grotte principale. On a donc sous les yeux l’accumulation de glace qui s’est faite année après année.

Lorsque l’on s’approche, on constate que la glace est empilée en couches horizontales, chacune ayant ses caractéristiques propres. Comme la neige dans un glacier, certaines couches sont épaisses, d’autres sont fines. En de nombreux endroits, des couches de poussière, de graviers, voire de roches s’intercalent, témoins d’événements divers survenus dans la grotte : réchauffements, éboulements du plafond…

Vers le fond de la salle, la glace devient d’une transparence stupéfiante : le regard la traverse sur plusieurs mètres et l’on aperçoit au loin les détails de la paroi rocheuse. Des cailloux pris dans cette masse semblent miraculeusement immobiles dans l’air, donnant au lieu l’apparence d’un château de la belle au bois dormant dans lequel tout serait endormi. Un jour, peut-être, la glace fondra, et le caillou terminera sa chute jusqu’au sol.

Une dernière question se pose : combien d’années, combien de siècles, avons-nous sous les yeux ? De quand date la couche la plus basse ? Sans moyens d’analyse on ne peut que faire des hypothèses, mais je parierai qu’il s’agit de plusieurs millénaires… Rien ne fond jamais, ici…

L’autre extrémité de cette salle décidément riche en surprise présente un aspect totalement différent. Là, la glace issue du plancher supérieur s’écoule de manière anarchique en une sorte de réseau de stalactites imbriquées les unes dans les autres, traçant des cheminements complexes.

Pour faire les fiers, mais non sans une certaine angoisse, nous ne résistons pas au plaisir de nous engager dans ces tubes aux formes alambiquées. C’est une véritable grotte glacée dans la grotte glacée. Tout à l’air bizarre, hostile, dangereux. Progresser  dans ces boyaux glissants fait remonter de vieilles craintes d’étouffement, d’enfermement définitif dans le noir absolu et glacé. Maman !

Quelque part ailleurs, un flot de glace s’écoule immobile d’une ouverture dans le rocher, donnant naissance à une énorme boule de glace absolument transparente, contre laquelle il faut passer en rampant pour gagner une autre partie de la cavité. C’est une véritable embrassade avec la glace, que l’un frappe parfois vigoureusement d’un coup de piolet ou de crampon pour ne pas définitivement glisser au bas de la chose.

Encore des grottes

Vers le fonds de la grotte Casteret, coule une cascade de glace aux formes élégantes : elle déploient sur un demi-cercle parfait des tentacules de glace blanchâtre qui lui donnent un vrai air de méduse. Tout amateur d’escalade glaciaire a envie de se lancer immédiatement à l’assaut d’une telle perfection. Hélas, ladite cascade n’est pas aussi tendre que la chair de la méduse qu’elle évoque : il s’avère quasiment impossible de planter correctement une point de pilet ou de crampon dans cette glace qui se révèle rigide et cassante comme du verre, et explose en une infinité de bouts de verre pilé à chaque tentative.

Nous rencontrerons sans cesse ce problème de dureté de la glace durant nos explorations, ce qui ne va pas sans problèmes. Les seuls modèles de broches à glace qu’il est possible d’y planter sans tout exploser sont ceux qui présentent une ouverture en leur centre (laissant sortir la glace au fur et à mesure de l’enfoncement), mais il ne faut pas être pressé : plusieurs minutes de travail sont généralement nécessaires pour obtenir un travail certifié sécurité…

Bref, ne faisant pas partie nous-même des pros de l’escalade glaciaire, loin de là, et n’ayant pas souvent le courage de planter à grands efforts et à bout de bras de nombreuses broches, nous nous sommes fréquemment abstenus de nous aventurer trop avant dans les difficultés. Peut-être nous reste t-il des tas de choses à découvrir.

La dureté de la glace atteint de tels niveaux que la progression sur des sols peu penchés en devient parfois aléatoires, et il nous est arrivé, bien campés sur nos 20 pointes, d’engager de légers dérapages, probablement dus à un affûtage trop ancien, mais bon… on n’a jamais vu ça, quoi !

Un jour, au détour de je ne sais plus quelle grotte, nous débouchons dans une minuscule alvéole rocheuse dans laquelle il semble faire un peu plus chaud qu’ailleurs, pour une raison que nous ne pouvons comprendre. Il doit faire tout juste au dessous de zéro, ce qui laisse la glace dans un état intermédiaire entre le liquide et le solide.

Bien qu’aucune goutte d’au ne soit visible, le plafond est littéralement en train de « couler », en milliers de stalactites de glace dont la forme en forme de goutte d’au donne une impression de mouvement tombant. C’est une espèce de pluie immobile, figée pour l’éternité, comme la paroi de glace de la grotte Casteret.

D’une grotte à l’autre

Les jours passent, les grottes s’accumulent à notre palmarès. Nous sommes descendus en rappel dans un puit glacé, nous avons parcouru les dédales de l’immense grotte Devaux, située très haut sur le versant français du cirque de Gavarnie. Au cœur de la terre nous avons ajouté notre nom au bas d’un papier daté d’une cinquantaine d’années sur lequel les rares visiteurs saluent les suivants. Nous avons eu la chance de pénétrer dans une partie encore inaccessible les années  précédentes car bouchée par la glace, prouvant ainsi que la tendance est à la fonte. Nous avons rebroussé chemin lorsque ça faisait peur. J’ai tiré Yvan par les pieds pour le sortir d’un trou qu’il avait voulu explorer trop à fonds…

Le vrai bonheur, c’est d’être là-haut en permanence, se réveiller là-haut, partir les skis aux pieds pour des approches courtes et légères, explorer une grotte, ressortir au soleil, redescendre en quelques virages et prendre un thé au soleil du camp, sauter dans la neige pour dépenser l’énergie qui nous reste encore.

Souvent, d’une grotte à l’autre, nous avons fait un petit détour par l’un des sommets du coin : le Casque, le Marboré, le Taillon… c’est si facile quand tout est près…

Mais tout a une fin. Un jour, nous sommes sortis de notre dernière grotte. Oh, non qu’il n’y en ait encore beaucoup à visiter… simplement, quelque part en bas du monde, d’autres obligations lointaines continuaient d’exister, d’autres êtres humains vivaient et nous attendaient.

Nous avons passé notre dernière nuit sous les étoiles… et nous avons regagné la civilisation.

La nuit tombe sur le col des Isards

Prendre des photos dans les grottes glacées

La prise de photos a constitué l’un des aspects particulièrement passionnants de cette aventure (domaine, soit dit en passant, essentiellement piloté par Yvan dont les compétences dans ce domaine sont carrément à un autre niveau que les miennes). En milieu souterrain « ordinaire », la prise de vue présente déjà des spécificités, dues au noir absolu qui règne partout. Ici, la présence de la glace, matière réfléchissante et transparente, apporte des contraintes supplémentaires et permettait d’exploiter d’autres effets…

Bref, il n’est pas possible d’arriver avec un petit appareil en mode automatique, de pointer une direction et de faire « clic ». Le résultat serait au mieux peu satisfaisant, au pire tout noir ou tout blanc. Pour la première fois de ma vie, j’ai approché d’un peu plus près la technique photographique, avec toute la réflexion, les essais successifs, et la préparation que cela demande.

Certaines photos ont demandé près d’une heure de préparation. Je me rappelle en particulier une des salles arrières de la grotte Casteret, au milieu de laquelle une énorme colonne de glace tombe de la voute, arrivée d’on ne sait où. Sujet photogénique s’il en est, mais comment s’y prendre ?

A titre de comparaison pour la suite, voici deux photos du même sujet. La première est prise par moi-même pendant qu’Yvan est en train de préparer l’éclairage de la salle. Deux frontales électriques sont positionnées en bas de la colonne, tournées vers le haut. Le rendu est d’un blanc cru, glacé et glaçant. Le reste de la salle est invisible.

Mon pote Yvan, qu’est pas bête et qui a une longue expérience de photo, m’avait averti que ça serait probablement nul, et qu’il valait mieux disposer un éclairage beaucoup plus diffus, donnant une lumière moins blanche et plus chaleureuse. Du coup, nous avions passé une demi-heure à disposer, un peu partout dans la salle des bougies. Chaque endroit devait être choisi pour que la flamme ne soit pas visible directement, mais par transparence au travers de la glace, ou par reflet sur les parois de la salle. Des gouttes d’eau qui tombaient du plafond éteignaient sans cesse les bougies, que nous déplacions jusqu’à trouve l’endroit idéal.

Une trentaine de bougies plus tard, il commençait à faire moins sombre dans notre salle, mais tout de même pas aussi lumineux que ce que laisse penser la photo suivante, prise en pause.

Voilà comment on transforme une cascade de glace en colonne de feu ! Cette photo me fait vraiment plaisir, à vrai dire j’en suis fier (même si je n’ai rien fait d’autre que de positionner des bougies et de pester contre des gouttes d’eau), et je la trouve belle.

Il faut parfois faire de drôles de jongleries. Un jour, dans un recoin, nous tombons sur une stalagmite à la forme vraiment surprenante, avec une pointe qui tenait par miracle au bout d’un étranglement de glace d’une extrême finesse.

Nous commençons à mettre en place nos petites bougies, comme j’ai précédemment appris à le faire (je commence à maîtriser la technique !!!). Un coup d’oeil nous permet de deviner que ça ne va pas : la base est correctement éclairée (on voit d’ailleurs par transparence la flamme des deux bougies qui sont cachées derrière), mais la pointe, cet appendice qui donne tout son intérêt à cette fragile sculpture de la nature, trop éloignée des bougies, reste dans l’ombre.

Il lui faut un éclairage spécifique. Après quelques essais, nous pointons, en faisceau croisé, plusieurs frontales électriques dessus. C’est mieux. Un copain a trouvé que cette stalagmite ressemblait à un cormoran en train de se sécher les ailes sur un rocher. Qu’en pensez-vous ?

Grottes glacées, infos pratiques

Pour gagner la zone des grottes glacées, je vous propose d’accéder dans un premier temps au col des Isards, lieu depuis lequel il est ensuite facile de rejoindre l’ensemble des grottes glacées. Depuis la France, le col des Isards est accessible à partir de la brèche de Roland.

Attention, je mets des indications horaires pour des personnes normalement chargées. Moi-même je n’ai jamais tenu de tels horaires, et de très loin, avec 30 ou 40 kilos sur le dos !!!

1 – Accéder à la brèche de Roland

De la France il y a deux itinéraires principaux pour accéder à la zone des grottes glacées :

Depuis la station de ski de Gavarnie-les-Espécières.

L’itinéraire le plus facile part de la station de ski. La route continue jusqu’au « Port de Boucharo » (col qui fait frontière entre la France et l’Espagne). En été cette route est fermée à la circulation 1 km avant le col, au col de tente. En hiver la question ne se pose pas puisqu’il faut laisser la voiture à la station même et monter à ski jusqu’à Boucharo.

Au port de Boucharo prendre le HRP qui part à l’horizontale en direction du refuge des Sarradets. Rejoindre le refuge (1h30) puis la brèche de Roland (2807 m, 1h00)

Par les échelles des Sarradets

Depuis le fonds du cirque de Gavarnie il existe un itinéraire plus direct qui monte directement vers le refuge des Sarradets au travers des barres rocheuses (nombreuses échelles métalliques et autres agrès). Il présente l’inconvénient d’un dénivelé plus important, et n’est praticable qu’en été.

Depuis le refuge, il est rapide (1h) de gagner la brèche de Roland (2807 m) en montant tout droit.

2 – Accéder au col des Isards (2770 m)

Depuis la brèche, lorsqu’on est tourné vers le sud, on aperçoit, sur la gauche, à environ 2 km, légèrement en contrebas de la brèche, un épaulement qui se détache du flanc principal de la crête frontière. Ce replat s’appuie sur une falaise de 10 à 30 m de haut, au pied de laquelle on aperçoit un porche sombre. Ce porche est celui de LA grotte Casteret, la plus connue. Le replat au dessus de la falaise est le col des Isards.

Sachant cela, l’itinéraire pour y accéder est logique : il faut suivre aussi longtemps que possible le pied de la falaise depuis la brèche, puis descendre vers le col lorsqu’on le juge opportun (je précise que je suis toujours venu en ces lieux en hiver, je n’ai donc jamais su s’il y avait un ou plusieurs sentiers là-dessous, vous me le direz à vôtre retour…)

3 – Accéder aux grottes depuis le col des Isards

L’accès à LA grotte Casteret ne passe pas logiquement par le col si c’est votre seul objectif de balade : descendez-y directement depuis la brèche de Roland. Si par contre, comme nous, vous choisissez d’établir un camp au col des Isards, il vous faudra redescendre par le versant ouest du col, gagner le pied de la barre rocheuse et la suivre jusqu’au porche. Attention : depuis les années 2000 la grotte Casteret est fermée au public par une grille.

Pour gagner les nombreuses autres petites grottes du versant espagnol. Du col des Isards, tournez-vous vers le nord. Vous avez devant vous le versant sud de la crête frontière, constitué d’une alternance de pentes neigeuses et de zones rocheuses. Toutes les petites grottes sont situées au pied du premier niveau de barres rocheuses (certaines sont d’ailleurs situées légèrement à l’ouest du col des isards, c’est à dire en direction de la brêche de Roland).

Il est difficile d’être plus précis, sachez simplement que si vous longez cette barre rocheuse, vous tomberez naturellement sur la plupart d’entre elles. Il y en a une petite dizaine, sur une distance d’environ 2 km. Ma description devrait vous suffire pour trouver au moins 5 ou 6 d’entre elles, pour les moins évidentes vous devrez vous procurer un topo !

La grotte la moins évidente à trouver, mais l’une des plus intéressantes est la grotte Devaux. Elle est contrairement aux autres située en versant français du cirque. Il faut monter très haut sur l’arête, jusqu’au pied du pic occidental de la cascade, vers 3080 m. de là, une vire part vers le versant français et descend jusqu’à la grotte Devaux. Attention, on et là en terrain de haute montagne, ne vous  aventurez que si vous savez exactement ce que vous faites, la chute est mauvaise !

Une fois dans la grotte Devaux, nouvel avertissement : contrairement aux autres grottes glacées, qui sont de petit développement, vous pénétrez ici en vrai terrain de spéléo : c’est vaste, c’est paumatoire… attention à ce que vous faites sous peine d’y être encore en 2050.

Quel matériel ?

Il ne faut rien de très spécial pour visiter les grottes dans de bonnes conditions. Disons qu’il faut être à la fois équipé :

  • d’un matériel de base d’alpinisme : des crampons, un piolet, quelques broches à glace, un baudrier et un ensemble de mousquetons.
  • d’un matériel de base de spéléo : une corde (pas de grandes verticales à ma connaissance, 30 m sera suffisant, et un éclairage approprié. Personnellement, en plus des frontales, j’aime emmener des bougies pour faire des éclairages plus chaleureux que les LED

Par contre, au delà du simple matériel, je tiens à redire que l’exploration de ces grottes présente des difficultés et des dangers très diversifiés : l’accès à certains lieux ne nécessitent qu’une rando facile, d’autres feront appel à des techniques d’escalade, de glace, ou d’assurance plus pointues. Avoir le matériel ne suffira pas toujours, encore faudra-t-il le maîtriser !

Allez, bonne ballade !