Entre deux mers

Entre deux mers… voilà une ballade plutôt conceptuelle : il s’agit de marcher, jour après jour, sur le fil de l’arête qui sépare les eaux de pluie pour les envoyer respectivement vers l’Atlantique (par l’intermédiaire du Tarn puis de la Garonne) ou la Méditerranée (par les gardons des Cévennes).

On pourrait effectivement croire que cette limite n’est qu’intellectuelle. Et pourtant, elle existe, car elle se superpose à plusieurs autres limites qui marquent profondément ce pays.

Il y a d’abord la limite climatique. Côté Atlantique, c’est le climat océanique, et côté « Méditerranée », c’est le climat… méditerranéen ! Le rapprochement des noms se fait tout seul, et n’est pas qu’un jeu de mots : de là où j’habite (Saint Laurent de Trèves), nous sommes côté Atlantique. Les jours de nuage et de brouillards, on peut très souvent voir, à moins de 3 kilomètres de là, le plafond de nuages s’interrompre brusquement pour laisser place à une étendue bleue immaculée… météorologiquement parlant, la plaine languedocienne commence ici, au col des Faïsses. Bénis soient ceux qui habitent à l’est et se réveillent au soleil lors des petits matins d’hiver qui, à nous, nous font couler le nez. Lorsqu’on marche en équilibre sur « la ligne » en remontant vers le nord, à gauche on a la végétation de montagne (on y trouve par exemple des hêtres), et à droite, le sud : le chêne vert y fait une apparition soudaine, en quelques centaines de mètres.

Il y a aussi une limite culturelle qui court par ici. A gauche, le monde catholique. A droite, le monde protestant. Deux univers. Deux états d’esprit dont les différences sont tellement énormes qu’il serait vain d’imaginer les différencier ici. Allez-y, avancez au fil de l’arête et rendez-vous compte par vous même.

Cet itinéraire pourrait se prolonger des centaines de kilomètres, depuis les Pyrénées jusqu’aux Alpes. Je me suis évidemment limité à ce que je connais : les Cévennes. Symboliquement, il va du sommet d l’Aigoual au sommet du Mont Lozère, les deux points culminants de ma région d’adoption.

J’ai eu la surprise de découvrir, dans le n°4 de 1967 de la revue Causse et Cévenne, un article d’un certain Monsieur Emond Fauris, intendant militaire de 1ère classe en retraite, comme il se présente lui-même, proposer la mise en place d’une « Corniche des deux mers », à savoir une vraie route goudronnée qui suivrait l’ensemble de ce tracé. Elle permettrait selon lui d’obtenir un itinéraire élevé, présentant peu de dénivelé, reliant un certain nombre de routes parallèles à peu de frais. Il va d’ailleurs jusqu’à calculer la quantité de pierres nécessaires, le coût de l’opération, puis finalement propose de confier la réalisation matérielle de la chose à des harkis ou à la légion étrangère, car « l’embauche est difficile dans la région, il n’y a plus de chômeurs comme autrefois » (enfin, je condense). Le tout est décrit et commenté dans le style enthousiaste et ampoulé propre à l’époque… Bien que l’article m’ait plu, je me félicite que le projet n’ait pas été réalisé, sans quoi une bande de bitume s’étalerait au pieds du Serre de Montgros, sur la can de l’Hospitalet, et l’esprit du lieu aurait probablement fui bien au delà de l’horizon.

Il ne nous reste donc plus qu’à le parcourir à pieds. La totalité de l’itinéraire nécessite entre 2 et 5 jours, selon que vous êtes un forcené de la marche ou un rêveur éveillé. Personnellement, pour profiter vraiment, je vous suggère de choisir la seconde hypothèse.

L’essentiel du trajet emprunte des sentiers tracés de longue date. Pourquoi les anciens ont ils justement circulé sur cette ligne de partage ? Je l’ignore mais j’aime à penser qu’ils y ont senti des influences aquatiques profondes qui ont fait remuer l’eau salée de leurs cellules et ému la masse spongieuse de leur cerveau reptilien.

Certains courts tronçons ne sont desservies par aucun sentier. Soit vous faites le détour par le sentier le plus proche (qui n’est jamais très éloigné), soit vous jouez le jeu de l’exactitude, pour le fun, et parfois vous coupez à travers bois et champs pour rester fidèles à l’idée de base. Ce sera l’aventure garantie, bien que sans grand risque de se perdre ou de se fourvoyer dans des passages trop techniques car en ces endroits les reliefs sont doux et l’on y navigue à vue sans problème. Les indications portées sur la carte ci-dessous sont très approximatives, il vous faudra préciser vous-même vôtre itinéraire sur des cartes plus précises. Les gros points rouges indiquent les endroits où le parcours croise une route, et donc où on peut rejoindre la civilisation moyennant une navette de voiture.

Allez, avancez comme vous le sentez et tenez moi au courant.

1 – Pic de Finiels – Col de la Croix de Berthel.

Du pic de Finiels, descendre au col de Finiels, rejoindre le Pic Cassini (cette courte section n’est pas à proprement parler sur la ligne de partage des eaux, mais il ne faut pas la manquer), puis redescendre vers le Mas de la Barque. Prendre la piste en direction de l’hôpital, puis couper vers le sud et rejoindre l’Aubaret (portion hors sentier, possibilité de suivre la piste sur quelques kilomètres et de tourner à gauche pour rejoindre). Le GR7 mène au col de la croix de Berthel.

2 – Col de la Croix de Berthel – Col de Jalcreste.

Suivre le GR7, passer au sommet du signal du Ventalon et redescendre sur le col de Jalcreste.

3 -Col de Jalcreste – Barre des Cévennes.

Suivre le GR7. Si vous êtes puriste vous monterez au sommet du Mont Mars au passage (le GR l’évite), ça vaut le coup. redescendre sur le Plan de Fontmort, puis suivre la route jusqu’à Barre des Cévennes.

4 – Barre des Cévennes – L’hospitalet.

Suivre le GR7 jusqu’au col des Faïsses (les puristes monteront tout droit sur la can noire pour coller au plus près la ligne réelle, c’est un peu bartas mais magnifique). Longer la route jusqu’à l’Hospitalet (il y a un sentier)

5 – L’Hospitalet – Col des Marquaïres

Continuer à suivre le GR 7 le long des précipices de la Can de l’Hospitalet. Le calcaire laisse bientôt la place au schiste de l’arête des Marquaïres. Descendre sur la route près de l’entrée du tunnel. Cette section peut se faire en VTT.

6 – Col des Marquaïres – Aire de côte.

Suivre la piste et le GR 7. Cette section peut se faire en VTT.

7 – Aire de côte – Mont Aigoual.

Les GR 6 et GR 7 suivent cet itinéraire facile mais grandiose et magnifique qui donne vue sur les précipices gardois de l’Aigoual.

Et la carte de la même ligne de partage des eaux, prolongée de part et d’autres :

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