Trois nuits au sommet du Mont-Blanc

En deux mots : installer un camp au sommet du Mont-Blanc de Courmayeur (4700 m), et y passer 3 nuits à glander. Simple, non ? Pourtant, voici des années que je traîne ce projet sans jamais avoir l’occasion de le mettre à exécution. Passer au sommet du Mont-Blanc, c’est facile. Réunir toutes les conditions pour y rester longtemps, c’est différent.

18 janvier 2003 : l’idée

Avant-hier, j’étais en train d’ajouter quelques lignes à une chronique de ce site, que je concluais par ces lignes : « N’empêche, à peine revenu de ma dernière virée au Mont-Blanc, je recommence déjà à me demander où j’irai l’an prochain. Tiens, et pourquoi pas au Mont-Blanc ?« . C’était une phrase, comme ça, pour rire, et pourtant aussitôt la machine à rêver a démarré au quart de tour.

Et pourquoi pas ? Pourquoi pas encore cette fois ? En septembre dernier, après une balade au Mont-Blanc réussie à tous points de vue, je m’étais juré que je ferais un break en 2003. Histoire par exemple de reprendre un peu sérieusement le parapente, trop peu pratiqué depuis quelques années (on ne peut pas tout faire, c’est affreux, je crèverai de mes envies inassouvies). L’envie d’un peu de chaleur et de soleil dans l’air vibrant de l’automne pyrénéen avait presque pris le dessus, lorsque la question pernicieuse resurgit : « Et pourquoi pas ? »

Tournant et retournant quelques instants cette pensée dans mon esprit, je me faisait conversation à moi-même : « L’ennui, c’est que ça fait plusieurs fois que je fais un peu la même chose. En fait, il faudrait que je trouve une nouvelle idée, un « concept », quoi, quelque chose qui change ». Remontant machinalement des yeux le texte que je venais d’écrire, je tombe soudain sur l’IDEE : dormir là-haut. Ne pas redescendre. S’y installer, pas juste au sommet qui doit être un endroit détestable d’animation bruyante lorsque l’on doit y rester plus de 10 mn, mais plus loin, sur le Mont-Blanc de Courmayeur. Au bout de cette belle arête que l’on contemple avec envie mais qu’on n’a jamais le courage de visiter.

Y rester… longtemps, disons 2 ou 3 nuits de suite. Ca c’est une idée qui me plait, ça sent la petite aventure. 3 nuits sous la tente à 4700 m, c’est presque comme si on était au camp de base d’un sommet andin ou d’un petit sommet himalayen.

Allez, c’est décidé, je lance le projet ! Je prends du même coup une autre décision, celle de garder la trace des errements et des réflexions contradictoires qui ne vont pas manquer de jalonner la préparation de cette histoire là. Je vais donc utiliser cette page web pour noter, au fil des semaines et des mois, les réflexions qui me viennent et les options que je choisirai.

Que tous ceux qui veulent me suivre cliquent sur « suivante » pour suivre les différentes étapes de ce projet (que j’intitule officiellement « 3 nuits au sommet du Mont-Blanc » pour faire pompeux).

Le Mont Blanc de Courmayeur depuis le sommet du Boss
Le Mont Blanc de Courmayeur depuis le sommet du Boss

25 janvier 2003 : premières réflexions

Je n’ai pas encore d’idée sur l’itinéraire, ni même le versant que j’emprunterai, mais comme d’habitude je souhaite partir à pieds d’en bas, de la vallée. Je ne sais pas exactement pourquoi je tiens tant à cette idée. Imbécile prétention qui m’interdit de me mélanger aux « autres » dans les télécabines ? Impression de réaliser pleinement l’ascension ?

Quoi qu’il en soit, le projet ne va pas de soi. Je commence à réfléchir sur les problèmes qui se posent. Je suis un gars très rationnel, je procède scientifiquement :

1er problème : la durée. Selon toute probabilité, je ne disposerai que d’une semaine sur place, pour acclimater le groupe, monter au sommet, y rester 3 nuits et redescendre. C’est très court.

2ème problème : le poids. Si je veux que le groupe soit relativement « confort » là-faut, il faut être correctement équipé pour les nuits (peut-être 2 duvets par personne), il faut de la bonne bouffe, des bouquins (si si !), etc… Tout ça va nous mener dans les 30 kilos par personne. Monter un tel poids à 4700m, ça va pas être drôle. Je l’ai souvent fait (au Huascaran j’ai même porté 35 kilos jusqu’à 6000 m), ce n’est pas surhumain, simplement ça pompe beaucoup, beaucoup d’énergie : on fait peu de dénivelé dans une journée, et on a beaucoup besoin de se reposer ensuite. Autre inconvénient : le moindre passage un peu technique se transforme en calvaire.

3ème problème : l’acclimatation. Nous arriverons de la plaine, sans avoir mis les pieds en haute montagne depuis 1 an. Disons, si on compte 500 m de gain par jour à partir de 3000 m, ça fait… 4 jours pour la montée. Diable, c’est long. 4 journées consécutives avec nos 30 kilos sur le dos… Si on veut garder de bonnes chances de succès, il faudra vraiment bénéficier de bonnes journées, d’une neige qui porte bien. Une chose est sûre : l’acclimatation devra être particulièrement soignée. S’il y a un endroit en Europe où l’on risque le mal de l’altitude, c’est bien au sommet du Mont-Blanc ! Parmi les personnes qui arrivent à cet endroit sans ressentir de malaise (ce qui constitue déjà une faible proportion de ceux qui partent pour le sommet), il est probable qu’un pourcentage non négligeable tomberait malade dans les heures qui suivent s’ils y restaient.

Hum… pas facile. Il faudrait être rapide, léger, acclimaté. Tout l’inverse de la situation qui sera la nôtre au départ du sentier ! Mais comment font-ils, ceux qui partent à l’assaut des grands sommets himalayens ?

Hé… mais la voilà, la solution : procéder comme en Himalaya, faire tout comme si on était une expédition lourde : des camps d’altitude, des allers-retours en dents de scie pour l’acclimatation, on monte un peu lourd et on redescend légers se reposer. On pourrait même passer rapidement au sommet dès le 3ème jour, déposer du matos, redescendre dormir plus bas…

L’idée n’est pas mauvaise, il reste plein d’inconnues, mais je me la garde sous le coude.

30 janvier 2003 : quel itinéraire choisir ?

J’ouvre la porte grinçante du placard cévenol de mon bureau et en extirpe avec délice la carte « Mont-Blanc Saint Gervais », ainsi que le guide Vallot, Tome 1 (Mont-Blanc Tré la tête).

Sa couverture vert foncé lustrée est ornée d’un triangle noir au coin supérieur droit de la couverture. A cet endroit le carton est noirci, vestige d’un début d’incendie dans la cave où j’avais laissé moisir des années durant ce précieux ouvrage. Cette fois on avait bien failli y laisser des plumes. Les nombreux amis présents à ce moment avait été réquisitionnés pour porter des gamelles d’eau, dans la panique tout le monde se croisait en tous sens en s’arrosant mutuellement. Au final, Sophie avait sorti en toute hâte le tuyau d’arrosage et éteint avec beaucoup d’allure les grandes flammes qui léchaient les poudres de châtaignier multicentenaires ultra sèches et terriblement inflammables.

Après l’alerte, j’avais mis de côté un carton de livres fumants et mouillés. Des vieilleries sans intérêt, des manuels d’informatique datant des années 80, présentant d’obscurs langages de programmation oubliés depuis longtemps. Sophie était passée par là, avait emporté le carton dans l’idée de lui faire terminer ses jours à la décharge de Florac. Une curieuse nostalgie m’a donné envie de farfouiller dans ce carton pour y relire une dernière fois la syntaxe absconse du Forth. Et voilà t’y pas que je tombe sur le guide Vallot. Je me souviens avoir éprouvé de l’indignation à imaginer qu’il aurait pu finir ses jours à la fosse commune avec « Le Basic pour les nuls » (tiens, un de ces jours il faudra que j’écrive un « Le Mont-Blanc pour les nuls », je pense que j’aurai bientôt suffisamment d’expérience pour ça).

Je l’avais récupéré, épousseté, ouvert (avec difficulté car la reliure s’était quelque peu raidie au cours des différents épreuves qu’elle avait eu à subir ces derniers jours)… et je m’étais replongé debout au coin de la cour dans ce texte si vieillot et pourtant si essentiel.

7 ans plus tard, me revoilà faisant les mêmes gestes, caressant les pages avec la même tendresse, observant chaque détail des croquis. Je tourne les pages au hasard, cherchant une idée directrice, mais tout ça est trop touffu, trop détaillé. La carte sera plus parlante !

J’étale les vieux plis sur la table. Elle a vécu, celle-la. De nombreux itinéraires sont tracés au crayon, numérotés selon la codification du guide Vallot. La plupart n’ont été que des rêves, quelques-uns ont vu mes pieds de près. L’énorme quantité de blanc de cette carte m’effraie et m’émerveille à la fois. Quel univers…

Je commence à explorer chaque versant.

4 février 2003 : le versant des premiers ascensionnistes

Ce versant m’apparaît immédiatement comme intéressant. Il est parcouru par une voie facile, qui part de la vallée. C’est la voie « historique », utilisée par les premiers ascensionnistes.

Elle part des Bossons, monte par un sentier facile et agréable jusqu’à la jonction. Elle prend pied sur le glacier à 2500m, traverse une zone relativement perturbée puis rejoint le sentier glaciaire qui mène au refuge des Grands Mulets depuis le plan de l’aiguille et la station intermédiaire du téléphérique de l’aiguille du midi.

De là, on monte par des pentes faciles (mais interminables) jusqu’au col du Dôme d’où l’on rejoint l’arête des bosses et la voie normale actuelle.

Ce qui me plait dans ce versant, ce sont les nombreux chemins de traverses qui y existent : de la jonction on peut, par une longue diagonale à droite, rejoindre l’arête de l’aiguille du midi par une voie facile mais totalement délaissée. Un itinéraire quasiment parallèle à celui-ci part du replat situé au niveau du refuge, rejoint une arête peu marquée qui monte directement au dôme du goûter. Celle-là, on peut dire que je la lorgne depuis des années : elle m’a toujours semblé être un excellent compromis entre la facilité, la tranquillité et la beauté, et je me suis juré d’y passer un jour…

Il y a aussi, à partir du grand plateau, plusieurs possibilités faciles pour rejoindre le col de la Brenva et l’arête nord du Mont-Blanc. C’est d’ailleurs par ces traversées que sont passés durant plusieurs années les premiers ascensionnistes, ne découvrant l’accès vers l’arête des bosses que plus tardivement (ce dernier itinéraire nous paraît aujourd’hui tellement familier qu’on a du mal à comprendre ce qui a pu les empêcher d’y penser !!!). Dans la chambre de mon fils Nils il y a une photo panoramique du Mont-Blanc devant laquelle je passe de nombreuses heures à rêvâsser. Il me semble nettement voir que la montée directe du grand plateau vers le sommet est facile. C’est con, une zone d’ombre cache le base de l’itinéraire présumé et m’ôte la certitude absolue que mon hypothèse est exacte. Il me faudra voir sur place, ou bien ouvrir le guide Vallot, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai la flemme, je préfère continuer à rêver et faire des plans sur la comète.

S’engager par ce versant offre donc plein de possibilités d’aller et venir, de monter d’un côté et redescendre de l’autre, d’autant plus que les replats pour poser un camp intermédiaire sont nombreux. J’imagine bien un premier camp à la jonction, un second vers 3500, et à partir de là des déambulations à droite à gauche pour s’acclimater, genre : monter au dôme par l’arête nord et redescendre par le col du goûter, monter au col de la Brenva déposer du matos et redescendre…

Je suis également assez tenté de prendre pied sur le plateau neigeux situé au nord de l’arête rocheuse portant le refuge des Grands Mulets. Ce plateau donne accès à tout un tas de voies vers le col du midi et le Mont-Blanc du Tacul, pas difficiles mais complètement oubliées des hommes, en raison je pense d’une certaine exposition aux chutes de séracs et de pierres, et également parce qu’elles mènent à des objectifs secondaires alors que leurs approches sont aussi longues que celles des grands sommets. Ce genre d’endroit me fascine, y poser un camp à l’écart du bruit du monde serait chouette.

Bref, ce versant me plaît bien. Son inconvénient serait peut-être une certaine austérité : il est un peu « écrasé » par le dôme du goûter qui le surplombe de 1000 m, de ce côté là la vue manque de dégagement et me laisse une impression générale de manque de lumière… Mais peut-être est-ce parce que chaque fois que je suis passé par là… c’était la nuit !

Je parcourerai à nouveau avec plaisir les premier 1500 m, menant à la jonction au travers des forêts, puis des maigres herbages et enfin des rochers. J’ai toujours trouvé à cet endroit une ambiance particulière : on est là, suspendus au dessus de Chamonix, un des centres de du monde de l’alpinisme.

On pénètre sans s’en apercevoir dans le monde de la haute montagne, protégés de lui pendant quelques heures encore par cette avancée qui écarte les glaces pour porter un peu de verdure au bord des glaciers.

La vallée gronde doucement du flot mélangé des eaux de la rivière et des camions qui montent (à nouveau, hélas) vers le tunnel du Mont-Blanc. Les sentiers vides résonnent pourtant d’un étrange silence immédiat, rendu vaguement inquiétant par les vestiges de pylônes de téléphériques effondrés, signes d’une activité passée dont on ne comprend pas la fin. Au loin, une pierre roule et ricoche de paroi en paroi, laissant derrière elle de longs échos, et va s’abîmer dans une crevasse du glacier des bossons, que les yeux parcourent pour tenter d’y apercevoir quelque morceau de ferraille provenant d’un antique avion écrasé au cours d’une catastrophe aérienne réelle ou imaginaire.

Le sentier fait des lacets, des lacets, des lacets, plus de lacets que je n’en ai jamais vu nulle part ailleurs. Brusquement, vers 2200 m d’altitude, au sortir des dernières végétations, les lacets cessent, une longue traversée horizontale nous porte rapidement vers le dernier ressaut rocheux. On fait la pause tout en marchant, soulagés pour un moment de ne plus sentir la gravitation nous retenir de monter. Au pied des rochers, les lacets reprennent de plus belle, le vent qui vient à notre rencontre est maintenant frais, chargé de la puissance des glaces toutes proches à présent. On serpente entre plusieurs abris de pierre qui gardent la marque de générations de grimpeurs.

Enfin, voici la glace. D’un seul coup, la vue s’élargit, la pierre disparaît, et le champ de glace de la jonction s’étale à perte de vue. C’est ici, précisément, que tout le poids de la glace pèse sur le rocher, que l’eau gelée frotte sur la pierre. Un pas de plus et vous êtes en haute montagne. Je ne me rappelle pas avoir franchi une seule fois cette limite sans avoir eu la tentation de rester ici, à l’abri…

Dès que l’on est engagés sur la glace, il faut tracer un cheminement toujours complexe dans la glace noire et cassante pour rejoindre à 1 km environ le replat qui mène au refuge. Ici, pas de cairns, pas de traces, le passage est trop peu fréquenté. Chacun cherche son chemin, c’est la règle ! Je me rappelle une année ou la situation était si mauvaise, les tours et détours si nombreux que nous ne cessions de passer et repasser tout près de la jonction, qui s’éloignait très, très lentement, refusant de se laisser engloutir sous un horizon pourtant si proche. Je me sentais marin quittant le port bout au vent, obligé à tirer d’interminables bords et observant la côte quasi immobile, alors même que j’avais tellement envie de ne pas perdre de vue ce repère si cher portant tous mes espoirs.

La jonction est un endroit… magique et maléfique à la fois. Peut-être finalement est-ce elle qui donne l’essentiel de son intérêt à ce versant…

12 février 2003 : le versant Miage

A vrai dire, Miage n’est pas un versant. J’emploie ce terme pour désigner l’ensemble constitué par le glacier de Tré-la-tête, les arêtes qui l’entourent, l’aiguille de Bionassay et le dôme du goûter. Il ne constitue pas à proprement parler un itinéraire habituel pour le Mont-Blanc. Les gens qui y circulent ont généralement pour objectif un sommet secondaire du sud du massif, voire la Bionassay, et poussent rarement jusqu’au sommet.

Ce versant est pourtant remarquable à plus d’un égard : il comporte beaucoup d’itinéraires faciles et beaux. Il permet de progresser doucement en altitude, donc de s’acclimater tranquillement tout en étant au calme. Je le trouve en effet, du moins jusqu’au dôme du goûter, sauvage et à l’écart du reste du massif. J’ai fait plusieurs années de suite des balades dans ce coin ayant pour objectif le sommet. Une affligeante malchance météo ne m’a pas permis d’atteindre le but fixé, mais je me suis peu à peu attaché a cette immense arête de Miage. Imaginez le projet : départ des Contamines, montée au Mont Tondu par le sud, puis redescente sur le glacier de Tré-la-tête, montée à l’aiguille de la Bérangère, traversée des arêtes de Miage, montée à la Bionassay, et Mont-Blanc. Un itinéraire de plus de 20 km de long, dont 10 entre 3000 et 4000. Une ambiance s’installe durablement, des camps successifs égrenés le long de cette arête.

Les arêtes sont des lieux magiques, cela j’en suis sûr sans pourtant pouvoir l’argumenter. A mi chemin de la ligne et de la courbe, presque aussi aériennes que le pic, tout en laissant un espace de liberté pour aller et venir. Creuser une plateforme sous le sommet d’une arête effilée et y planter sa tente… pousser plus loin la trace le lendemain et recommencer plus loin et plus haut…

Le seul petit problème posé par ce magnifique versant est l’arête sud de l’aiguille de Bionassay. Sans être difficile, elle redresse sensiblement l’itinéraire dans des ressauts rocheux aériens, délicats à franchir lorsque l’on porte plus de 25 kilos. Quelques décimètres de neige fraîche par dessus tout ça et les difficultés deviennent réelles. Par trois fois dans le passé, j’ai buté sur ce ressaut pour cause de neige.

La solution serait évidemment de passer ce ressaut avec peu de poids sur le dos. Il ne dépasse guère 300 m de dénivelée, il faudrait le franchir en 2 fois, mais dans l’optique d’une ascension « himalayenne » cela se conçoit : un camp en bas du ressaut (vers 3600 ?), une première ascension pour faire le sommet, déposer du matériel au col situé entre la Bionnassay et le Dôme du goûter (vers 3950 m je crois), redescente au camp, le lendemain nouvelle ascension avec le reste du matériel et installation d’un camp au col.

Si l’on estime que ce passage est franchissable dans ces conditions, le reste de l’itinéraire ne pose plus aucune difficulté, il reste juste à passer 2 ou 3 jours en dessous à s’amuser, 1 journée pour terminer l’acclimatation au dessus, et le tour est joué.

Une seule chose m’embête un peu : je suis venu très souvent sur ce versant ces dernières années, et je me demande s’il ne serait pas intéressant de changer un peu… Mais je suis tiraillé car il y a tellement de possibilités sympathiques ici !

22 avril 2004 : les 3 Monts

Voilà plus d’un an que je n’ai pas avancé le projet, initialement prévu pour 2003 ! La vie a passé un peu différemment de ce que j’avais prévu. Rien de grave, plutôt plein de belles choses, en fait, qui m’ont momentanément détourné de tout ça. Et puis, j’ai eu quelques occasions inattendues d’aller en montagne. Un tour en Oisan, une étrange ballade en Belledonne… de quoi faire patienter.

Mais l’idée n’est pas morte, loin de là. Le printemps me pousse à me remettre au travail. Cette fois ça semble sûr : je programme le départ pour la mi-septembre 2004. Avec qui, comment ? C’est encore un mystère ! Pour le moment, il me reste un dernier « versant » à explorer par la pensée pour en tester les atouts : l’arête des 3 Monts.

Voilà un magnifique itinéraire, bien connu de tous les alpinistes qui fréquentent le massif. J’ai la sensation que malgré la faible difficulté technique de l’itinéraire, chacun, quelque soit son niveau, a envie de s’y frotter au moins une fois.

Il me semble que c’est là qu’on est, sur la plus longue distance de tout le massif, et peut-être de toutes les Alpes, en très haute montagne. La barre des 4000 est passée peu de temps après le début de la montée au dessus du col du midi, et les 4 ou 5 kilomètres suivants se font tout là-haut, perchés sous le ciel. Les autres sommets du massif, les grands sommets italiens, tout cela n’est bientôt plus qu’un lointain tapis aux pieds des heureux qui ont la chance de se trouver là dans de bonnes conditions.

Officiellement, la traversée des 3 Monts consiste à passer successivement au sommet du Mont-Blanc du Tacul, du Mont Maudit puis du Mont-Blanc lui-même. Dans la réalité, la majeure partie des gens se contentent de passer au large des deux premiers, environ 100 m plus bas. A ce stade là, on a déjà pas mal de dénivelée dans les pattes et lorsqu’on n’a pas la tente pour fractionner les étapes on préfère tracer la route… Ca reste une portion époustouflante. J’y ai vécu une me mes plus désagréables aventures de montagne.

L’itinéraire peut être allongé d’innombrables manières en amont et en aval des 3 Monts.

Le départ peut se faire de l’aiguille du midi, comme la majorité des ascensionnistes, mais il me semble que c’est quelque peu en réduire l’intérêt : il ne reste alors plus rien de l’acclimatation physique, mais aussi affective, qui donne tant de valeur et de plaisir à une ballade en haute montagne. A l’occasion de l’un de mes précédents projets, non réalisés pour cause de météo, j’avais imaginé monter en téléphérique par le versant italien jusqu’au col du Géant. Cette concession à la civilisation nous aurait permis de monter un bon stock de nourriture sans trop de fatigue, nous apportant ainsi l’autonomie nécessaire au projet.

Il se serait agi de marcher 2 heures vers le sud ouest et de poser un camp dans la combe située entre la Tour Ronde et les arêtes d’Entrèves. Nous aurions pu passer là quelques jours à nous acclimater tout en faisant de petites ascensions accessibles en bien peu de marche. Nous aurions ensuite, frais et dispos, repris le chemin du Mont-Blanc en rejoignant le col du midi et les 3 Monts. Cette idée me tente à vrai dire toujours, mais elle me semble trop longue à mettre en oeuvre pour une simple mise en jambe à 3 nuits au sommet. Mais j’y repenserai, un de ces jours…

Le départ peut aussi se faire de tout en bas, comme par exemple du Montenvers. J’ai fait deux fois cette traversée, elle est décrite dans « Un mont-Blanc réussi« , c’est un profil de ballade vraiment bien adapté, splendide… et vide !

Mais on peut allonger l’itinéraire à l’autre bout, après le sommet. En redescendant par la voie normale française, italienne, ou les grands mulets, on arrive déjà à un sacré kilométrage. Mais le top du top est de redescendre (ou de monter) par la Bionassay, et… de continuer (ou d’arriver) par les Dômes de Miage. On plane alors littéralement, avec plus de 10 km à plus de 4000 m, et plus de 20 km à plus de 3500. Je n’ai hélas pas encore réussi à faire tout d’une traite. Qui sait.

La traversée des 3 Monts est intéressante aussi par le faut qu’elle s’interconnecte avec la voie des grands Mulets : une traversée facile permet de joindre le grand plateau au col de la Brenva, et de passer ainsi d’une logique à l’autre en cours de route…

Oui, vraiment, les 3 monts c’est bien… J’y suis peut-être un peu trop souvent venu, mais c’est bien ! Ceci dit, à bien y réfléchir, je ne suis pas sûr que ce soit un bon itinéraire pour le projet « 3 nuits au sommet » : il me semble que beaucoup d’énergie serait dilapidée dans de grandes horizontales, au détriment de la prise d’altitude et de l’acclimatation.

22 avril 2004 : alors, finalement ?

Voilà, j’ai fini le tour des versants qui me sont accessibles (du moins avec 30 kilos sur le dos). Il y en a, en tout et pour tout, 3. J’écarte délibérément, pour une raison que j’ignore, la voie normale italienne (peut-être un peu trop austère ? souvenirs de trop grande exposition ? Il y a si longtemps que j’y suis passé, à vrai dire…) et la voie normale française (là par contre je sais bien pourquoi).

Il va maintenant falloir choisir. Et à vrai dire, je pense que le choix est déjà fait. Le versant Miage et les 3 monts représentent des itinéraires trop longs et trop horizontaux. Je crains l’épuisement avant même d’arriver en haut. Ils constituent de belles aventures en soi, il serait stupide de les ramener à la dimension de simples voies d’accès au sommet. A l’heure d’aujourd’hui, je penche donc pour la « voie des premiers ascensionnistes ». Ce versant me semble le plus adapté pour plusieurs raisons:

  • son profil est intéressant : il monte vite, mais permet de s’arrêter partout, et donc de gérer comme on veut l’acclimatation sans gaspiller inutilement son énergie à faire des horizontales interminables.
  • il est riche de possibilités de variantes, de raccrochages avec des itinéraires voisins. On va s’y ballader, ce sera fantastique
  • il est assez tranquille en soi, et ce sera le calme absolu dès qu’on s’éloignera un peu du centre du versant.

Tout de suite, en fonction de ce que j’ai collecté comme infos, je sens que c’est par cet itinéraire que nous aurons le plus de chances d’arriver rapidement et bien acclimaté au sommet. Ca peut changer, on ne sait jamais, mais pour l’instant c’est décidé, je pars sur cette option.

29 juin 2004 : départ en septembre

La date est maintenant approximativement fixée : ça sera du 10 au 20 septembre, ou quelque chose comme ça.

L’équipe se dessine peu à peu. Il y aura Cécile et Olivier, qui ont participé à un Mont-Blanc réussi, il y aura Pierre, qui a participé à plusieurs Mont-Blanc ratés, et des nouveaux : Sylvain sans doute, pour les autres je laisse venir…

Nous serons au minimum 5, je vais essayer de compléter l’équipe pour arriver à un nombre logique, comme 7 (une tente de 4 et une tente de 3). A suivre…

29 août 2004 : le projet s’affine

L’été a passé,  tourbillonnant. Beaucoup de concerts (mon métier), un peu (trop peu) de criques bretonnes iodées, venteuses et parfois ensoleillées pour penser à autre chose. La rentrée scolaire est pour après demain, le rythme de croisière annuel va déjà reprendre, sans que j’aie vraiment pu décompresser, je sens encore dans mes tripes le poids des derniers mois de travail.

Heureusement, la ballade en montagne approche. Je sais par expérience que c’est elle qui me permettra vraiment de recharger les batteries et de retourner au charbon avec une énergie neuve. Ou en est-on ?

L’équipe a connu d’importantes fluctuations de dernière minute. Sylvain et Pierre ne viendront finalement pas. Sylvain va faire sa première vendange dans les journées qui nous concernent, Pierre a trouvé un boulot, tant mieux pour lui, tant pis pour nous. En contrepartie, on a gagné Christophe et Antoine, par ouï dire et bouche à oreille… Nous voilà donc 5, un chiffre qui ne me plaît qu’à moitié : c’est trop pour ma tente de 4, et ça ne remplit qu’imparfaitement une seconde tente. On aura plus de poids sur le dos, et moins chaud la nuit… A moins d’essayer de se tasser à 5 dans une tente ? On testera ça au camping…

En tout cas, on est maintenant en contact assez serré, on récapitule le matériel, on se pose des questions à droite à gauche, la sauce prend peu à peu.

J’ai beaucoup repensé à l’itinéraire ces dernières semaines. J’ai essayé d’élaguer un peu dans les nombreuses possibilités offertes par ce versant pour commencer à fixer les choses. Tout en sachant qu’il est tout à fait impossible de planifier précisément les choses, je n’ai pas pu m’empêcher de rêver de longues heures et d’imaginer une progression « idéale », celle qu’on ne suivra pas, mais bon…

Voilà donc comment ça pourrait se passer. La carte est à l’envers, ce n’est pas une erreur, c’est dans ce sens là dans ma tête.

9 septembre 2004 : on bascule

Après un été pourri, il a fait un somptueux début de septembre. Grand beau, tous les jours, partout en France. Le temps rêvé pour partir en haute montagne.

Demain, le 10, c’est fini. Une dépression arrive d’Espagne et la météo sur le Mont-Blanc se dégrade durablement. J’ai ragé, pesté. Puis j’ai commencé à réfléchir. Et si on essayait quand même ? Quitte à monter tout doucement, mètre par mètre, à poser le camp à chaque fois qu’on en a marre de lutter contre le vent et la neige ? Et puis j’ai aussi pensé qu’on allait restés enlisés dans le versant, à passer tout notre temps sous la tente, que quand on serait haut en altitude et que l’orage gronderait des heures durant je serais inquiet, inquiet d’être durablement bloqué là-haut, inquiet de prendre la foudre, de sentir la couche de neige s’épaissir, se fragiliser, et descendre sur nous en longues coulées venimeuses. J’ai eu peur d’avoir peur.

J’avais préparé un projet de remplacement en Oisan. Un coup d’oeil à la météo des Hautes-Alpes me fait vite comprendre qu’on y sera nettement mieux. C’est pas encore le top, mais il y aura de longs répits entre les précipitations…

J’ai pris ma décision. Je retourne en Oisan, je tourne enfin le dos au Mont-Blanc, après toutes ces années. Et soudain, je me sens libéré, enthousiaste. Ca va être… différent, nouveau.

Les 3 nuits au Mont-Blanc, ce sera pour 2005, et puis voilà. De quoi vous fournir encore quelques pages de réflexion préparatoire d’ici là.

Demain, départ pour Vallouise. Au projet : une longue divagation sur les glaciers du Monétier, les Agneaux, le Pic de Neige-cordier et les Ecrins… des choses faciles et banales, mais faites sans redescendre, et par des itinéraires buissonniers et des combes cachées.

A bientôt !

19 mai 2009

Mon Dieu, que le temps a passé… sans nuits au sommet du Mont Blanc ! J’y suis pourtant retourné deux fois, dont une fantastique virée en 2020 à l’occasion de laquelle cela aurait été possible mais… la vie en a décidé autrement. Durant toutes ces années j’ai mené d’autres projets, passé du temps dans d’autres massifs avec d’autres gens. J’ai essayé d’amener mon fils vers la haute montagne… sans réel succès. Aujourd’hui, j’aimerai toujours énormément passer 3 nuits au sommet du Mont Blanc. Mais je crois que je vais arrêter de l’annoncer.