Le frère du Guerrier, un tournage sur le Causse

« Le frère du guerrier » est un film de Pierre Jolivet, sorti en 2002, dont l’action se passe au XIIIème siècle sur le Causse de Sauveterre. Le thème du film tourne autour de la « connaissance » : celle, intuitive et populaire, des plantes qui guérissent, et celle, plus intellectuelle, véhiculée par les livres, à l’époque réservés au clergé bien décidé à rester seuls dépositaires du savoir lire. C’est un film assez austère, qui a été reçu plutôt petitement par la critique et le public.

Bien qu’ayant été en grande partie tourné dans le sud de la Lozère, le film ne parle guère de la Lozère (le Gévaudan, devrait-on dire) car il reste centré sur les personnages et leurs tourments. Je ne suis même pas certain que le réalisateur ait cherché à localiser son histoire. Mais on y voit tout de même de belles images des paysages des environs. La maison du personnage principal a été reconstituée près du domaine des Boissets, au dessus de Sainte-Enimie. Les scènes de marché, curieusement, ont été tournées au milieu de rien sur le Mont Lozère, au pied des puechs des Bondons. Plusieurs hameaux du causse de Sauveterre ont également servi de toile de fonds. Les scènes à l’église et au château ont par contre été tournées plus au nord, en Auvergne, et les premières images du film ainsi que quelques scènes de forêt ont été réalisées dans les environs de Paris.

La maison du frère du guerrier

La curiosité m’aurait suffi pour aller voir ce film qui parle un peu de chez moi. Mais j’y suis lié d’un peu plus près que d’autres habitants de la région : lors des castings régionaux qui ont précédé le tournage, ma fille de 6 ans a été sélectionnée pour jouer le rôle de Hilde, fille du « frère du guerrier ». Pas un grand rôle, mais plus qu’une figuration car les enfants sont assez présents dans une petite moitié du film. Les 20 journées de tournage nécessaires se sont étalées sur 2 mois, durant lesquelles il a fallu l’accompagner ici et là. Ce fût une petite aventure, sorte de plongée dans ce microcosme étrange qu’est le milieu du cinéma, et dont il me reste quelques images fortes, parfois heureuses parfois empruntes de malaise. En voici quelques unes, brutes et en désordre.

La pièce de vie de la maison

Pierre Jolivet et Vincent Lindon mangent dehors, sur une petite table à l’écart du reste de l’équipe. Le même Vincent Lindon, qui me demande après 15 jours à se côtoyer : « Vous êtes le père d’un des enfants ? »

Les heures passées à attendre la bonne scène, dans la loge des enfants (un préfabriqué posé sur le causse), alors qu’il vente et qu’il pleut dehors. A l’occasion d’un rayon de soleil passager, assis devant la porte, je joue à l’accordéon le morceau « Na Sobkach Mandjurie« . Il est tiré de la bande originale du film « Urga » dont l’action se déroule en Mongolie, aux paysages si proches à ceux des causses. L’actrice Mélanie Doutey s’approche, appréciant manifestement. « J’ai des racines par là-bas », me confie-t-elle en riant.

Le coach officiel des enfants, qui profite d’une balade un peu à l’écart de la fourmilière, pour s’allonger dans une cazelle, les jambes dehors, et piquer un petit roupillon, mine de rien.

La subtile hiérarchie qui s’établit de manière tacite entre les différents corps de métier (mise en scène, acteurs, techniciens)… le peu de relations réelles entre l’équipe et la population locale, pourtant mise à contribution.
Une violente pluie interromps une prise. Tout le monde se disperse pour se mettre à l’abri où il peut. Le staff « acteurs » se retrouve dans la maison familiale factice dont le toit de fibre et de polystyrène résonne sous les chocs des gouttes. Il fait presque noir. Brunelle est sur les genoux de sa « maman » Mélanie. L’univers du cinéma a presque disparu, une discussion tranquille s’engage.

Dans le restaurant d’un hôtel 3 étoiles auvergnat, la veille d’une prise. Les enfants, pas du tout impressionnés par le luxe et l’atmosphère feutrée ambiante, se lèvent sans cesse de table et courent partout en criant, poursuivis par moi qui essaie sans aucun succès de les calmer. Les clients nous jettent des regards courroucés.

Le responsable de la déco promène partout une carriole d’ali-baba, dans laquelle il a entassé un bric-à-brac. Avec ça il peut tout faire : panser une fausse pierre qui a pris un choc malencontreux, bricoler une poupée de paille pour amuser un enfant qui s’ennuie, faire démarrer un faux feu de bois en 1 seconde.

Une technicienne décoratrice. Assise sur la table de la cuisine, elle prépare une simili soupe aux choux pour la scène à tourner. Malgré la simplicité apparente de cette tâche ménagère quasi quotidienne, elle se concentre intensément pour arriver à un résultat qui lui convienne parfaitement. Il ne s’agit pas que ce brouet ait goût de soupe aux choux, il doit RESSEMBLER à une soupe aux choux. Nuance. Mais la fille est sympa comme tout. Entre ses silences affairés, elle me raconte le métier. A un moment, elle me lance un regard clair et elle me demande simplement « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? ».

Souvenir souvenir

La sortie du film a fait son petit effet dans la famille, un peu moins au delà. Puis cette minuscule agitation s’est calmée et le souvenir a commencé à s’estomper. Quelques années plus tard, nous sommes passés avec Brunelle à proximité de la ferme des Boissets. Un petit pèlerinage à la maison familiale s’imposait. Elle était toujours là, isolée au milieu des pelouses rases et sèches du Causse. De loin, elle semblait normale, à sa place. Nous nous sommes approchés en silence, chacun dans ses souvenirs, revivant l’ambiance de fourmilière affairée qui avait peuplé ces lieux quelques mois durant. A quelques mètres de distance, d’étranges zébrures blanches sont devenues visibles sur les murs, sur les tuiles. La peinture commençait à s’écailler, laissant apparaître le polystyrène sous-jacent. La maison familiale avait commencé sa lente dégradation vers la mort. Quelques dizaines de mètres plus loin, le rocher artificiel sur lequel s’adossait la bergerie se dressait, aussi blanc qu’une congère isolée à la fin de l’hiver. Quand je l’ai escaladé il a crissé sous mes pas, des flocons s’en sont détachés pour partir dans le vent.

Le rocher de polystyrène a perdu ses couleurs

En contrebas, Brunelle parcourait le jardin des simples, encore bien visible au milieu des herbes folles malgré ces années sans entretien. Comme 5 ans plus tôt, à l’occasion du tournage de la scène finale du film, elle a pris quelques feuilles dans ses mains et les a froissées pour en sentir les effluves.

Dans le jardin des simples en friche

2 thoughts on “Le frère du Guerrier, un tournage sur le Causse

  1. … magnifiques images de cette fin de film avec votre fille! Je viens de le voir et ce sont bien ces dernières secondes qui m’ont le plus marqué, par l’esthétique, le visage de votre fille et cette image de la transmission et de la continuité d’un savoir.

  2. Bonjour
    Je viens de voir ce joli film hier, – 29 juillet 2023, il n’est jamais trop tard ! La Lozère est un de nos paradis. Mais je voulais savoir où était situé l’église en Auvergne et à un moment donné nous apercevons également un château médiéval ? Peut-être juste une image empruntée pour le film. Merci pour votre témoignage très intéressant.

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